Une main dans la pâte à pain, malaxe et sifflote comme le plus heureux des hommes. Peut-être l’est-il un peu, heureux jusqu’à la moelle. Il ne suffit qu’un peu de farine, un peu de levure pour parfaire sa vie, ah si il avait su peut-être aurait-il quitté la mafia bien avant ! Cette nouvelle occupation était si agréable qu’il en oubliait parfois le bon sens commun pour y exercer toute sa créativité tordue ; bon nombre de petits pots remplis d’extravagantes épices jonchent le plan de travail plein de farine blanche. Et si ça lui rappelle l’ancien temps et la drogue à faire passer en douce, il se dit que finalement, tous les métiers se ressemblent et en ricane un peu.
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Son sifflement entêtant (probablement une vieille comptine pour enfant qu’il n’arrive à se sortir de la tête) est bien vite arrêté par la clochette retentissante de la porte principale. Pas le temps d’enlever son tablier tout farineux et d’essuyer ses mains toute blanche, le voilà qui quitte l’arrière-boutique pour rejoindre le comptoir, un sourire bien préparé aux lèvres pour le nouveau client. Dorothea n’étant pas là aujourd’hui, il se doit de tout gérer pour un moment, pour son plus grand bonheur. Car s’il y a encore plus amusant que de malaxer la pâte et tirer la langue on confectionnant des croissants (un peu ratés), c’est certainement l’accueil des clients et les discours futiles qui en découlent. Il n’y avait probablement rien de plus tentant que d’observer les nouveaux venus fixer avec envie les petites pâtisseries, hésiter puis finalement se lancer sous ses indications parfois un peu directives du patron.
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Et c’est une grande dame que voilà, bien habillée, bien maquillée. La chevelure rosée comme les meilleures sucreries. Rosario fronce un peu les sourcils, perplexe. Cette tête, elle lui dit quelque chose. Là tout au fond de sa mémoire, bien caché sous déjà une tonne d’information à retenir. Aah non ça ne lui revient pas, alors il retrouve son grand sourire de vieille hyène charmeuse, certain que personne ne peut y résister.
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« Bienvenue jeune demoiselle ! Que puis-je faire pour vous ? »
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Il a déjà envie de lui proposer toute sa sélection de gâteaux recouvert de pâte d’amande toute rose, pour s’accorder à la personne. Ou bien une brioche à la praline, pour rester dans les tons. Ah mais ça l’ennui, la pointe de perplexité ne s’envole pas. Il la connaît c’est presque certain, mais les traits n’osent se positionner parfaitement dans sa petite tête de vieillard.
Mince, est-ce qu’il devenait sénile ?
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La tasse vient effleurer les lèvres si délicatement teintées de rose. Un liquide brunâtre quitte la douceur du porcelaine pour venir se glisser sur le palais de Lucrèce ; le petit doigt tendu en l’air et l’attention paresseusement appuyée sur le journal étendu sur la table.
Elle feuillette, sans vraiment lire, les dernières nouvelles d’Althea. Un accident de calèche, une nouvelle collection de mode, la prochaine entreprise montante. Rien qui ne puisse retenir son intérêt ; elle est déjà informée de toutes ces nouveautés avant même qu’elles ne soient écrites. Pensées.

Son réseau s’est agrandit, elle connait les différents protagoniste sans s’y intéresser. Oui, la collection de mode mérite un coup d’œil, non cette nouvelle entreprise avait probablement peu de chance de survivre. Et cet accident de calèche, quel désastre, il avait ruiné l’une de ses statues (tout en propulsant le reste des transportés en soin intensif.)

L’italienne repose cette tasse, fébrile, revient coincer une mèche derrière son oreille. Son doigt verni de blanc se pose sur une photo, tel un trésors extirpé de ses souvenirs.
« Rosa. »
Il n’a qu’un diminutif affectif qui vient qualifié celui qui est figé dans le papier, se tenant fièrement devant une multitude de délicatesse.
Rosario.
Ici, à Caer, dirigeant d’une pâtisserie. Dirigeant de cette pâtisserie dont les louanges n’arrêtent pas de venir bercer ses oreilles et dont la paresse l’a éloigné de ses portes.
Fragment du passé, depuis bien longtemps égaré – bien plus longtemps qu’avant la chute. Quand l’avait-elle vu pour la dernière fois ?

Lucrèce se lève, laisse le journal et la tasse derrière elle. Laisse même l’addition insatisfaite, tandis que dans son costume deux pièces elle quitte le salon de thé dans lequel elle s’était posée.

C’est à deux rues. Une rue pour la faire retourner en arrière, sur terre. Une rue pour la ramener en enfance. Elle se sent déjà fillette, bien que dans ce corps de grande dame. Elle a ce pétillement au fond du ventre alors que ses pas s’allègent, trottinent presque.

Rosario ici.
Et si elle s’était trompée ?

Elle pousse la porte, fait retentir la clochette dans toute la boutique, se laisse embaumer par l’odeur de toutes ces merveilles.
Et le voilà qui sort de son arrière-boutique, grand monsieur au sourire carnassier, maintenant bien adouci par la farine coincée sur ses mains. Il y a des rides en plus, des cheveux grisaillant, mais ce même visage rassurant.
C’est un souvenir chantant, celui des cigales à la porte et du soleil qui tape la peau.
Celui d’une enfance dorée, baigné de rires et de belles paroles, bien loin des ignominies de la politique.

Son cœur d’enfant bat dans sa poitrine, c’est lui, c’est Rosario. L’oncle, le zio, qui la balançait dans les airs à en faire hurler sa mère et en faire rire son père.
Un sourire se détache de ses lèvres. Il est franc, un peu bancale peut-être. Elle a envie de lui sauter au cou, mais veut commencer par lui parler, vérifier qu’il est réel.  Le tester, aussi, gaminerie puérile.

Lucrèce pioche une brioche laissée à sa portée, qu’elle croque à pleine dent tout en regardant le reste de la boutique, se ballade déjà devant les autres friandises. Elle n’a toujours pas appris les règles de convenances, même après toutes ces années. « Il y a du progrès. »

Elle s’arrête, plonge ses yeux verts dans ceux de Rosario, ne s’inquiète même pas de sa réaction quant à son incivilité.

« Je suis à la recherche de Chiacchiere et de Torta caprese, je meurs d’envie d’en manger, mais aucune pâtisserie n’est assez bonne pour les réaliser. »

Confus, il n’en perd pas moins sa bonne humeur et son sens de l’hospitalité. Ce bonbon rose est tout à fait charmant, gratte jusqu’aux souvenirs d’antan. Il fronce les sourcils Rosario, soucieux de comprendre d’où lui vient cette terrible impression de déjà-vu. Une telle chevelure, il s’en rappellerait tout de même ? Il frappe dans ses mains, fait tomber un peu de farine dans l’espoir de paraître un brin plus présentable qu’il ne le sera jamais.  
Et voilà là vilaine qui ne perd pas de temps, s’empare d’une petite brioche laissé sur le présentoir pour attirer les clients et la croque à belle dent. Une brioche qu’elle compte payer il l’espère. Car si le vieillard donnerait tout pour un sourire de ses clients, il n’oubliait certainement pas son sens des affaires. Quel genre de pâtissier serait-il, à laisser toutes les petites filles un peu trop gâtées se goinfrer de sa marchandise sans même un petit regard interrogateur ? Ah une petite grimace vient déformer son visage ridé, s’apprête à protester quand la suite le fait hésiter. Des chiacchieres ? De la torta Caprese ? Des mots qui font ressurgir bon nombre de petits souvenirs bien cachés, là sous les années.
Il observe le visage féminin quelques longues secondes ; intense réflexion.
Avant de se rappeler. Il n’y avait bien qu’une seule personne capable de porter ce petit air tout à fait innocent tout en restant un véritable démon dès qu’elle ouvrait la bouche.
Il n’y avait bien qu’une personne qui, il y a des années de ça, se régalait des pâtisseries italiennes que son « oncle Rosa » apportait à chacune de ses visites tout en râlant quand il n’y en avait jamais assez. Rosario se souvient parfaitement des petits chiacchieres qui partaient trop vite dans la minuscule bouche de la gamine avant même qu’il n’ait lui-même pu en goûter.
Lucrèce.
Un immense sourire vient métamorphoser le visage de l’autre, alors que dans un geste rapide il jette son torchon et contourne le comptoir pour venir à la rencontre de la jeune femme.
« LUCRECE ! C’est bien toi ?! »
Sans une once d’hésitation, le voilà qui ouvre ses grands bras pour se jeter sur la demoiselle, l’entraînant de force dans une étreinte d’ours enfariné, et tant pis si un peu de poussière blanche s’envole autour d’eux. Le voilà qui se recule un peu sans la lâcher, des étoiles dans les yeux. Ne doute pas un seul instant de pouvoir s’être trompé de personne, tout de même.
« Bon sang qu’est-ce que tu as grandi ! La même bouille que ta mère, étonnant que je ne t’ai pas reconnu tout de suite, ça doit être à cause des cheveux. » D’une main, il vient ébouriffer la chevelure rose. « Superbe ! »

La duperie ne dure pas bien longtemps, est vite démasquée par l’homme aux cheveux gris que le temps n’a pas réussit à enterrer. Même pas aux fonds de la mémoire de Lucrèce.
Rosario.
Celui qu’elle a accueilli maintes fois dans sa maison, qui lui a préparé milles gâteaux.
Elle sourit. Un sourire franc, un sourire d’enfant.
Lui se précipite vers elle, et elle se plonge dans ses bras.

« Rosa !! »

Elle pourrait aussi bien l’appeler oncle ou parrain, tant la vieille hyène avait fait parti de sa famille italienne, entre deux affaires douteuses et quelques pot-de-vin.
Il sent la farine et les pâtisseries, là dans le creux de son cou. Il a une peau rugueuse, là sur les bras, mais il reste ce Rosario, ce souvenir de là-haut, ce souvenir enfantin.

Elle se laisse broyer dans les bras du pâtissier, et même avec plaisirs. Elle a l’impression de redevenir une enfant, d’être protégée, d’être dans ce monde sans danger où elle était choyée.
Lorsqu’il la lâche, elle reprendre son souffle en riant.
Elle aurait bien pris un peu de cette candeur plus longtemps.

« Et toi qu’est-ce que tu as vieilli ! Je ne t’aurai presque pas reconnu avec toutes ses rides. » Elle le taquine, mais ferrait tout pourtant pour ne pas qu’il s’en aille. « Tu aimes ? Je commence à m’en ennuyer ». Elle voudrait déjà changer de couleur la demoiselle, alors même que ce rose la caractérise dans tout Caer, et peut-être même Althea.

Elle se hisse sur le comptoir, s’assoit sans même regarder si la vitre pouvait tenir sous tout ce poids. Ses pieds battent le vide comme une enfant alors que son sourire ne s’en va pas.

« Je ne plaisantais pas pour les Chiacchiere et les Torta caprese, mon Italie me manque. ». Ou peut-être qu’elle avait voulu plaisanter un peu mais que la vérité l’avait rattrapé : elle se sentait bien loin de sa vie d’avant dans ce pays de pierre grise.

Il pourrait la serrer dans ses bras pour l’éternité, sa petite Lucrèce à la joie pétillante, petit bonbon de malice que nul ne saurait enchaîner. Il se remémore comme elle était minuscule à l’époque, haute comme trois pommes à hurler de rire quand il la jetait dans les airs sous l’air scandalisé de se sparents. Mais c’est qu’en Italie, elle a toujours été sa préférée.
Il se recule et l’observe, voit comme elle a grandi ; oh comme il sera maintenant bien plus dur de la lancer en l’air !
Elle est tout sourire et ça ravi le vieillard. Il manquait de jeunesse dans cette pâtisserie quand il n’y a aujourd’hui que ses vieux doigts pour malaxer la pâte, remuer la farine. Tout sourire, il rit avec le cœur, il rit avec tout son bonheur.
Et pour une fois, ne s’insurge pas quand elle parle de vieillesse. Il a vieilli lui ? Pff n’importe quoi, mais il laisse passer, trop heureux pour briser l’enchantement et se contente de grimacer d’effroi au lieu de s’énerver comme il l’aurait d’ordinaire fait.
« Des rides ? Oh mon dieu où ça ?? »
Il tapote son propre visage en feignant l’horreur, avant de se reprendre en ricanant.
« Lucrèce tu pourrais même porter du vert fluo que tu serais encore la plus belle. »
Et il le pense sincèrement, c’est qu’elle avait si bien grandit la gamine, le voilà qui peine un peu à la considérer comme une femme adulte.
Grandir, ça n’est jamais facile.
La princesse se trouve un nouveau trône (c’est qu’il ne doute pas qu’elle doit en avoir des dizaines, des centaines, des milliers à fouler de ses jolis pieds) et se hisse sur le comptoir. Le vieux ne dit rien, aura tout le temps de la gronder plus tard. Et si elle se retrouve la robe pleine de farine, qu’elle ne vienne pas se plaindre.
Il fait mine de réfléchir quelques secondes. « Hm j’sais pas s’il m’en reste… attend moi quelques secondes je reviens ! Et n’en profite pas pour faire fuir tous mes clients ! »
Le voilà qui file dans l’arrière-boutique. Malgré ses dires, il sait précisément quelles fournées viennent d’être réalisées. Les chiacchieres encore tout chaud viennent remplir un immense bol et le voilà bien vite revenu vers le comptoir principal.
« Et voilà pour toi mademoiselle ! »
Le bol est posé à côté de la jeune femme, Rosario tient à ce qu’elle reste un peu discuter avec lui et espère bien la voir s’empiffrer.
« Malheureusement je n’ai pas de Torta caprese, les gens ne connaissent pas ça ici… »
Il est vraiment navré, mais certain que Lucrèce n’aura déjà plus faim après quelques chiacchieres.
Le vieux s’accoude à une vitre, un grand sourire aux lèvres.
« Alors qu’est-ce que tu deviens ?! Laisse-moi deviner… un joli mari et 5 enfants ??»

Les plaisanteries sont faciles et l’assistance volontairement bon public si bien que les rires s’enchaînent. Et s’il y a des rides qui sont venues se loger sur le visage du vieil homme depuis la dernière fois, ce n’est que pour mieux illuminer son visage bien vivant.

« Oh ne t’inquiète pas, elles ne font qu’accessoires ! »

Elle la plus belle ? Oh que c’est gentil (le savait pourtant déjà), prend le compliment par bonne grâce, il a d’autant plus d’impact sortant de la bouche de la hyène. Lucrèce ne se risquerait pourtant pas à aller jusqu’au vert, le rose lui allait bien mieux qu’une couleur nucléaire.

L’odeur des chiacchieres viennent lui chatouiller le nez au moment même où elles sont posées à ses cotées. Elle pousse un crie de joie en découvrant les pâtisseries, s’empresse de prendre le bol sur ses genoux, comme l’enfant qu’elle est redevenue. Elle n’a d’ailleurs plus aucunes grandes manières, plongeant ses doigts pour déjà saisir le mélange de farine et de beurre.

La première bouchée se fait rapidement, suivi d’un gloussement joyeux.
« Oh Rosario, c’est encore meilleur que dans mes souvenirs ! Si tu savais comment j’en ai rêvé » le pense sincèrement, les doigts et le costume déjà tâchés de farine. Ah que cela ne tienne, aujourd’hui n’était pas temps à penser à ses beaux habits car elle avait Rosa avec elle ; un membre de sa famille étendue (en quelques sortes).

« Les gens manquent cruellement de goûts bon dieu ! » Elle s’exaspère, les produits Italiens étaient pourtant dans les meilleurs. La jeune femme vient rajouter d’une voie plus calme, toute mielleuse « Tu m’en ferras dis Rosario ? »

Et elle manque de s’étouffer en entendant la suite des paroles. Seul un rire vient répondre au vieil homme pourtant. Elle ? Un mari et des marmots ? Oh quelle idée. Ne supportait les enfants qu’attacher à une chaise ou un scotch sur la bouche. Elle était
Trop ambitieuse
trop égocentrique
trop artiste
Pour ne même qu’y penser.
Elle pose une main sur le comptoir de pierre d’à côté, qui bien vite perd sa forme monotone pour se métamorphoser en jolie colonne grecque (des figures soutenant une immense plaque de pierre)

« Je te présente mon dernier né. » Sourire sournois. Peut-être venait-elle de donner naissance à l’un de ses uniques enfants, l’héritage qu’elle avait choisi de laisser.
« Je n’ose même pas te demander combien tu as d’enfants Rosario, papa disait toujours que tu en avais bien trop pour tous les évoquer. »

Il tapote son visage, soudainement soucieux des rides qui s’agrandissent. Ah la vieillesse, seul tourment qu’il ne saurait vaincre. A marcher contre le temps peut-être se perdra-t-il en chemin. Car il revient bien 20 ans plus tôt Rosario, dans cette grande demeure en Italie, occupé à boire le meilleur vin en compagnie de son vieil ami ; et de la gamine cachée dans un coin toute en jolis rubans. Précieux instants trop beaux pour être oubliés ; douce mémoire ravivée par la jeune femme aujourd’hui à ses côtés. Presque trop grande pour être réelle, c’est qu’il n’a plus vu le temps passer lui.
Il rit en la voyant ainsi s’accaparer le grand bol. C’est qu’il en a fait pour tout un régiment avant même de savoir qu’elle arrivait. Un signe du destin ? Probablement, le voilà ravi de nourrir ainsi l’adorable bonbon rose, la bouche bientôt pleine de sucre glace et les mains aussi enfarinées que les siennes. Lucrèce, toujours aussi gourmande. Aucun doute que ce bol se retrouverait bientôt entièrement vide.
« Ravis que ça te plaise ! Ah je n’avais pas vu ce grand sourire depuis si longtemps ! »
N’est-elle pas magnifique l’italienne à montrer ses dents comme quand elle avait 10 ans ? Il ne cache pas sa joie, pique à son tour une pâtisserie dans le bol pour la macher avec excitation.
« Hm si tu es sage je pourrai prendre ta commande... » Malicieuse hyène, c’est qu’il ne faudrait pas tout lui passer tout de suite. Le vieux sait pourtant pertinemment qu’il ne pourra lui dire non bien longtemps car elle avait cet effet Lucrèce, une bouffée de joie derrière cet innocent sourire qu’il sait ô combien sournois. Si elle savait manipuler son monde, Rosario se laissait volontiers mener.
Il espère la savoir mariée avec une dizaine de marmots et pourtant, la pétillante jeune femme ne semble apprécier. Une colonne grecque vient prendre vie sur le comptoir. Magnifique, il dessine du doigt les folles arabesques sans cacher son appréciation. Il éclate de rire aux paroles suivantes.
« Oh vraiment ?? Pauvre enfant il n’a certainement pas la grâce de sa mère ! » S’il en rit, il est pourtant légèrement déçu. Il n’y aura donc pour l’instant pas de descendance, quel horrible idée…
« J’espère que tu ne comptes pas me laisser ton gosse, j'préfère mon comptoir tout lisse. » Il hausse un sourcil, légère réprimande, il s’amuse pourtant énormément.
« Ah ton père est un imbécile, malgré tous mes efforts de persuasion il n’a jamais voulu te donner encore plus de frère et sœur… je crois qu’il a eu peur en me voyant élever 8 gosses ! » Rosario éclate de rire. 8 enfants, mais c’est qu’il en avait apparemment un neuvième planqué au désert. Ces choses là semblaient apparaitre comme par magie.

« Cela ne fait-il pas 10 ans ou 15 ans? Tu as disparu du jour au lendemain. »
Pointe de déception dans sa voix, souvenir un peu persistant ; celui de son père qui lui dévoilait que Rosario ne viendrait sûrement plus. Ou alors était-ce elle qui était partie vivre sa grande vie de diva ailleurs ? Elle ne savait plus trop, c’était un temps où elle s’était perdue. Entre voyages et luxe, entre gamineries et comportements d’adultes. Ah l’adolescence est un mélange des mondes que chacun aborde à sa façon. Lucrèce, elle, avait abandonné la maison pour boire des coupes de champagne à l’autre bout du monde.

« Mais Rosario, je suis toujours sage. » Elle penche un peu la tête de côté, fait de grands yeux. N’était-elle pas adorable ? Elle n’avait pas perdu ses réflexes, Lucrèce. Les avait même peaufiner à travers le temps. Enfant gâtée un jour, enfant gâtée toujours.

La mafieux d’oncle ne semble pas apprécier sa nouvelle œuvre, ce qui pousse Lucrèce à rire, encore. Elle est fière de son tour, la perfide Lucrèce. Aimait pourtant beaucoup trop sa nouvelle œuvre pour ne fusse que bouger un seul doigt. « Quoi comment ça tu ne l’aimes pas ? Il est pourtant magnifique, regarde ses courbes, regarde sa blancheur. Et lui ne crie même pas. C’est l’enfant parfait ! »
Elle les préférait ainsi, sans corde vocale pour crier et sans jambes pour courir.

« 8 enfants. » Et elle se montre réellement surprise Lucrèce. Qui avait assez de courage pour 9 enfants ? Quoique, ça ne devait pas être trop dur pour Rosario, s’il ne faisait que lancer les enfants en l’air et faire des blagues.
« Enfin, il ne doit plus en rester beaucoup par ici… avec un peu de chance tu en retrouveras un ou deux. » encore une famille brisée. Pourtant, même si ça l’émeut un peu, Lucrèce n’a plus beaucoup de tristesse à verser : tant de familles ont été brisés, tant de pleures ont été versés que même l’émotion finie par partir.

10 ou 15 ans ? Il réfléchit quelques secondes, c’est que tout cela remonte à loin pour lui. Mais il se souvient, d’Orazio et ses sales manigances. De son départ forcé loin de cette belle Italie aux chatoyantes couleurs. S’il a pardonné depuis longtemps, il regrette un peu. Aurait aimé pouvoir y retourner, voir Lucrèce grandir et continuer de rire à gorge déployer avec son père, ami de longue date. Une dizaine d’année oui, où la pauvre Lucrèce avait dû être privée des confiseries apportées en cachettes et des grimaces lancées quand personne ne regardait.
« Quelques soucis dans mon travail, rien de trop grave mais je n’ai plus posé les pieds là-bas depuis… » Il marmonne un peu dans sa barbe, probablement trop bas pour que la jeune femme l’entende. Quelque chose à propos de foutus flics et de mafia italienne. Mais l’autre n’avait pas à savoir. Oh non, Lucrèce avait toujours été tenue bien loin des magouilles de son propre père et le vieillard tenait à ce que cela reste ainsi. Peut-être avait-elle eu quelques révélations depuis, mais il tenait tout de même  à garder les secrets.
Et finalement, l’adorable bouille à raison de lui, il ricane un peu en secouant la tête. Très bien, il ne pourra jamais lui dire non.
« Oh oui c’est vrai, peut-être que j’devrais aussi te préparer un palais de pain d’épice hein ? Plein de guimauves rose et de petits biscuits tout enrobés. »
Oh il ne doute pas qu’elle apprécierait. Et une couronne pour parfaire le tout ? Tonton Rosa était vraiment merveilleux.
Il fait pourtant la moue face à la petite sculpture (qui avouons-le fait tâche sur son joli comptoir tout propre).
« Ba tu sais les cris on s’y habitue. Ou on fait comme moi : se barrer avant que ça dégénère ! »
Rosario et sa conception de l’éducation. Mais c’est qu’il préférait amuser la galerie, jeter ses gosses au plafond plutôt que d’avoir à supporter les cris des bambins. Ses femmes l’avaient bien trop souvent engueulé pour ça, mais le vieillard restait pourtant intraitable : fuir restait la meilleure des solutions.
Et pourtant le voilà bien fier à parler de ses 9 enfants, tous aussi beau les uns que les autres (mais probablement tous à leur façon…).
« Malheureusement Céleste est morte il y a quatre ans, sur terre. » Vivre sur terre n’était plus une partie de plaisir depuis longtemps, alors il est las Rosario, las de voir sa famille fragmenter en millier de petit bout. D’en savoir une partie là-haut en Grèce, et l’autre ici sur Althéa. Aussi sourit-il peut-être un peu moins maintenant. La mort de sa fille encore gravée dans sa mémoire. Il hausse les épaules. « Ne t’inquiète pas ces sales gosses ne peuvent pas m’échapper. » De nouveau, il ronchonne un peu. «  Et personne pour venir tenir la pâtisserie avec moi, tu y crois ça ?! »
Ah ce n’était certainement pas Lazarus qui allait venir tremper ses mains dans la pâte à pain.
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Si elle se voulait éveillée sur sa propre vie maintenant adulte, les magouilles de sa famille lui restaient inconnues. Elles étaient de toute façon mortes en même temps que ses différents membres dans l’effondrement. Peut-être qu’un de ses frères avaient été mis au courant, mais pas elle. Elle, c’était l’innocence rieuse, la petite dernière choyée par tous.
Et le secret s’en irait encore une fois avec le mutisme de Rosario. Car ces soucis de travail qu’il évoque ne rappelle rien à Lucrèce. Et elle n’entend pas plus les mots étouffés.
Préfère peut-être rester dans l’ignorance au fond ?

« Avec des moulures en chocolat. Evite le désert, veux-tu ? J’ai envie de m’assoir sur mon trône avant que le palais s’effondre. » Reine des gourmandises, cela sonnait bien, n’est-ce pas ? Tant qu’il y avait une couronne quelque part, Lucrèce pouvait se contenter de peu.
Elle ricane aussi, un peu.
Rosario a droit de la voir elle, en entière. Elle, souriante, innocente, sans cet air dédaigneux, blasé, qui est venu se loger sur son visage au fil du temps
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« Le plus pratique serait encore d’en noyer un ou deux, c’est pratique et efficace. Plus de crie ensuite. »
Sourire en coin. C’est ce qu’elle ferait, sans aucun doute.
Chacun sa méthode : quand certains s’enfuient, d’autres affrontent le danger, et d’autres, encore, tuent le danger dans l’œuf.
Tout compte fait, peut-être devrait-elle passer à l’orphelinat ? Elle aurait besoin de quelques apprentis (serviteurs) dans sa vie quotidienne.

« Je suis désolée? pour Céleste. » le pensait sincèrement, avec cette petite main qu’elle vient poser sur le bras du vieillard. « Pour les autres, ils doivent se cacher et profiter un peu de la paix d’une vie sans toi, quels ingrats. » Lucrèce donnerait tout pour retrouver une famille, tout pour retrouver un père (même pourri jusqu’au pied).

Elle se relève, tape d’un ongle sur le comptoir qui se transforme jusqu’à retrouver sa forme initiale. « Tes pâtisseries sont devenues mangeables, tu as bien changé. » comme si la terre ne les avait pas tous changé à jamais. « Je suis contente de te voir, Rosario. »