Minuit l’heure des crimes.
L’heure des discrètes envolées, chat rodeur pointe le bout de son nez. Elle est sombre comme la nuit, sombre comme la mort, sombre comme les cœurs qui déjà s’endorment. La capuche relevée sur sa tête comme un secret fièrement caché. Iseult est prête, toute excité du monde et de ses secrets. Elle a vu plus tôt, les crosses qui se frappent et les corps qui s’encastrent ; le chaos des supporters qui criaient leur joie à la vue des palets qui fusent sans jamais s’arrêter. Iseult a regardé, fascinée. Perplexe quant aux règles, quant aux milliers de chose qu’elle ne connait pas encore. Voit la violence et l’artiste qui glisse sur la glace, arabesque endiablée, la voleuse était subjuguée.
Assez pour recommencer.
Assez pour cette nuit, se glisser dans les dortoirs de ces petits êtres fragiles mais oh trompeurs (car ils ont la force de se cogner et recommencer).
Sereine Iseult qui a mille fois répéter ce geste, s’est mille fois glissé là où elle n’aurait jamais dû être. Les souvenirs d’une vie passée à arpenter des couloirs qui n’étaient pas les siens, ouvrir les coffres qu’elle ne possèderait jamais.

Alors glisse, pas feutrés sur le carrelage glacé. Observe les lits, les quelques têtes victorieuses qui restent là dans les bras de morphée. Mais Iseult ne fait que passer, ne sait ce qu’elle cherche ; les objets porte-bonheurs où les bourses bien remplies. Une énième porte, elle s’engage dans la chambre, manque de se cogner aux valises et sacs qui trainent là car ce n’est que pour un jour que pour une nuit.
Et là dans un coin, une crosse de hockey toute belle toute brillante. La voleuse d’approche comme attirée par ce qu’elle ne pourra jamais manier. Le manche fini dans sa main, qu’elle soupèse, s’amuse à bouger en l’air. Ah n’était-ce pas comme ça que faisait la joueuse de hockey ? Elle fronce les sourcils, lève à nouveau la crosse dans un mouvement atrocement bancale. Ou bien comme ça ?
Tout à son art (de voler, s’approprier) Iseult se fiche alors bien de la jeune fille qui dort à côté. Car que pourrait-on lui faire ? Elle n’aurait qu’à s’éclipser.

Iseult ne sait pas, que certaines dormeuses ont l’oreille tendue, le sommeil aussi léger qu’une plume. Non non elle est dans son monde, le grand le beau monde sans nom, sans fin, sans destin. Elle lève la crosse comme elle lèverait une armée, pointerait un flingue, infligerait un baiser.
Sans grâce ni subtilité.
C’est qu’elle se dit qu’elle peut, oh personne ne lui dira jamais non,
quand la nuit il n’y a plus personne pour suivre ses gestes chaotiques ; désordonnées pensées.
Alors Iseult lève la crosse toujours plus haut, toujours plus fort. Manque de faucher une tête, se redresse en fronçant les sourcils, se maudissant un peu de la maladresse de ses mains trop habituées à aiguiser les lames, déverrouiller les coffres-forts sans jamais savoir quoi faire d’autre.

Mais un ange de glace se réveille, tout endormi, les yeux vagues et les cheveux en vrac. Elle en rirait presque Iseult si elle n’avait pas si peur que l’on donne l’alerte. Se fige dans instant incertain, prête à tout ; prête à rien. Elle observe, vilain chat au regard perçant jusqu’à vouloir balayer les ténèbres mais rien n’y fait : le visage reste dans l’ombre. Il n’y a plus que cette petite voix enfantine, comme une réprimande. Alice ? Se coucher ? Alors dans la pénombre, Iseult sourit enfin. Oh comme elle aurait bien aimé gagner oui, mais loin de s’être démenée comme les victorieuses guerrières sur leurs jolis patins, la voleuse se sait reine de la nuit ; celle qui gagnera bien plus qu’un simple match, qu’un simple chiffre sur un grand tableau blanc.

Iseult ne doute pas, Iseult ne doute jamais. La petite endormie devait bien être fatiguée pour la confondre ainsi avec son amie Alice. D’un geste, elle reprend son bras prisonnier, tapote l’épaule de l’autre en hochant la tête, attrapant son nouveau rôle à la volée.

« Ouai je suis épuisée… Faut juste que je trouve… » Un regard à droite, à gauche. Car Iseult ne repartirait certainement pas les mains vides. Elle s’arrête, feint une illumination. « Mon porte-feuille » !

Certainement pas la plus subtile des entrées, mais ah Iseult préférait de loin la guerre aux jolies comédies.
Sa main se ressert instinctivement sur la crosse qu’elle ne compte plus lâcher, car il serait bien dommage que la belle au bois dormant se réveille pleinement. Peut-être devrait-elle l’assommer tout de suite et ainsi éviter cette ennuyante mascarade ? Oh oui peut-être.

Iseult fronce les sourcils, se crispe. Prête à attaquer, grogner, arracher les cœurs pour s’en faire un collier. Mais l’autre semble ne rien voir, proposant même son aide. Vraiment ? Iseult sourit presque. Réfléchit, réfléchit encore. C’est qu’elle n’a pourtant pas bien le temps. Petit être dans la gueule du loup, si elle se doute de quelque chose elle ne le montre pas, se contente de hocher la tête à l’audacieuse proposition. Voleuse toujours sur ses gardes, se méfit bien de cette hockeyeuse sans nom ni visage. Se méfit bien du monde entier mais n’a pourtant pas le choix.
Alors un sourire niais s’impose, Iseult acquiesce vivement.

« Oh oui le couloir ! Que je suis bête. »

Petite grimace, jouer la comédie ne lui allait vraiment pas. Aurait tout donné pour pouvoir grogner sa frustration, ne pas se contenter de petites répliques de gamines écervelés assez idiote pour laisser tomber son portefeuille. Elle est pourtant bien d’accord pour s’éloigner d’ici, et vite. Car il ne manquerait plus qu’une armée de hockeyeuses lui tombe dessus.
A peine arrivée dans le couloir, Iseult n’a pourtant pas le temps de réagir que la voilà plaqué contre le mur, sa nouvelle arme arrachée des mains. Elle grogne, se débat un peu puis se contente d’observer son ennemi, le regard sauvage et assassin. Car effectivement, il n’y a pas d’Alice.
Un coup à la tête, Iseult se décale de justesse, tente de repousser son adversaire en prenant appuis sur le mur bien calé dans son dos.
Instant sauvage instant cruciale, la voilà qui lui attrape le bras pour venir y planter férocement ses dents. C’est qu’elle ne comptait pas émousser ses jolies dagues pour une simple gamine un peu trop brutale. Quelques coups suffiront probablement n’est-ce pas ?
Sa tête se redresse vivement, tout énervée.

« Rend moi ma crosse !! »

Car oui, maintenant c’était la sienne et Iseult ne partage pas, jamais.