Tu tournes en rond dans cette nouvelle demeure, affairée à toutes sortes de responsables, au deuil de ton frère et de ta vie d'avant. L'abandon d'un rang, de privilèges pour le prix de la liberté, de la vérité et du pouvoir repris par le peuple.
Amère consécration quand il en a coûté tes repères et ta maison.

Quelqu'un toque à la porte de la villa, et tu ouvres la porte. Les cernes au visage et les yeux fatigués, tu reconnais ton ancien soldat. Magdalene, le plus loyal d'entre tous, s'était abaissé aux bassesses de la guerre et avait été puni.
Tu le regardes de haut, non pas avec déception mais avec une tristesse infinie, preuve de ta nouvelle impuissance.

— « Magda. »

Son nom que tu prononces, solennelle.

Tu t'accroupi pour prendre son menton, relever son visage juvénile et l'intimer de se relever.

— « Je ne crois plus être ta supérieure désormais. Ou peut-être que si, mais pas de cette manière. »

Tu as l'air peinée, et tu l'es.
On éloigne ton plus fidèle allié.

— « Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour te ramener auprès de moi, je te le jure. »

Tu passes une main sur sa joue.

— « Je sais que ta punition est pénible, ainsi je t'intime de garder patience. »

Il est si vif, si aimant et si passionné. Mais dans le feu de son engagement ne brule ni la patience ni la sagesse. Tu es fatiguée Isadora, tu as baissé les armes et le voir ainsi te rappelle cruellement que tu es une lâche qui a abandonné.
Lui est si jeune, a encore beaucoup à accomplir et le voilà pour l'instant condamné à une vie de second plan. Tu sens sa frustration, elle est palpable et gorgée d'ego blessé.

Tu voudrais le consoler, lui dire que tout ira bien et qu'il reviendra à tes côtés mais...
Es-tu certaine d'en avoir le pouvoir ?

— « Oui, je te le jure. Je ne peux récompenser ta dévotion à mon égard autrement. Je ne veux pas que tu sois malheureux, à la frontière. Mais il faut que tu me laisses le temps de m'en occuper. »

Il t'explique à quel point cette décision est injuste.
Dans ses yeux se reflète un sentiment que tu peines à intérioriser, tant il te touche. Tu l'invites à rentrer, Isa, en te décalant sur le côté.

— « Viens boire un thé s'il te plait, ne reste pas sur le pas de la porte. »

Une fois à l'intérieur, tu fermes derrière lui et le conduis dans le petit salon. Tout est encore en désordre, la majorité de tes affaires ayant brulé avec le château. Tu te sens aussi vide que cette maison, heureusement que Fenrir est là - sinon la solitude aurait refermé son étau.

Tu l'emmènes jusqu'à une petite terrasse, une véranda qui donne sur un petit jardin, ou sont exposées des statues rescapées.

— « Assis-toi. »

A la petite table.

— « Merci Magda, pour avoir été aussi fidèle ces dernières années. »

Il te suit sagement. Tu es heureuse que Magda accepte l'invitation, tu sais que parfois il peut se montrer si fier qu'il pense que ployer le genou ou se soumettre à une abnégation ultime est synonyme d'honneur. Tu es contente de le voir relâcher un peu la pression.

Il s'installe et tu lui sers le thé, puis t'assois en face de lui en pliant ta robe au niveau de te fesses. Tu portes la tasse à tes lèvres et le scrutes d'un regard amusé lorsqu'il mentionne Fenrir. Tu manques de t'étrangler avec ton thé, alors que tes joues se parent d'une douce couleur rose.

— « Fenrir, oui. Il est devenu garde du corps du conseil et a accepté la nationalité Caerienne. »

Tu espères que l'esprit farouche de Magda ne prendra pas ces révélations comme un affront. Tu sais les jeunes adultes parfois compétitif, de part leur absence de maturité.
Mais tant mieux, il te parle de ta collection et ton regard s'éclaire soudainement ! Avant de s'éteindre tout aussi vite.

— « Oui ! Mais... malheureusement, je n'ai pas réussi à tout évacuer avant le siège et des pièces inestimables ont brulé avec le château. »

C'est un sujet qui te fait rapidement monter dans les gong. Tu ne veux pas perdre ton sang froid Isadora, mais si tu retrouves l'énergumène qui est à l'origine de cette catastrophe sans précédent, de ce gâchis du patrimoine, il se pourrait qu'iel passe un mauvais quart d'heure.

— « Comme tu peux voir... »

Tu montres le jardin du doigt, où sont exposés des statues.

— « J'en ai installé quelques unes ici, d'autres sont dans un hangar. Je dois m'en occuper. J'ai décidé d'ouvrir un musée, bien sûr je dois avoir l'aval du conseil. »

Foutaises ! Avant tu n'aurais pas eu besoin de l'accord de qui que ce soit.
Cette nouvelle vie s'annonce compliquée.

— « Et toi mon cher ? Vas-tu déménager provisoirement ? Ou habitais-tu ? Je ne te l'ai jamais demandé. »

Tu le vois prendre son temps, écouter. Tu as les yeux qui trainent partout Isadora quand lui s'en tient aux oreilles. Il n'a pas à s'en faire, il peut même rester dormir là ce soir s'il veut. Tu ne le mettras pas dehors, c'est lui qui choisit quand il part.

Il y a quelque chose d'adorable dans sa façon d'être, qui te serre le coeur également. S'il avait eu peut-être cinq ou dix ans de plus, vous auriez pu être amis, vous auriez pu vous respecter et vous apprécier comme des égaux. Mais malgré sa maturité (que tu ne te risquerais pas à nier), il est encore dans la fougue de la jeunesse, soumis aux émois de ses folies. Tu as passé trente ans Isadora, et tu commences à peine à être fatiguée.

— « Tu peux choisir de vivre cela comme une aventure, et non comme une contrainte. C'est toi qui décide de comment ça se passe réellement. Je pense que tu ne devrais pas voir ça comme un supplice mais comme une épreuve qui te rendra encore plus fort. »

Sourire doux, flash de la mémoire qui te joue des tours.
Le sang qui coule, l'épée qui tombe et la tête qui s'abaisse vers l'avant.
A l e x a n d e r ; roi à la dérive.

Tu reprends.

— « J'espère te faire honneur, et qu'à mon retour j'aurai retrouvé mon poste. »

Il parle de chien à ces mots là, tu entends Cheeseburger qui aboie dans le salon. Tu hausses un sourcil et étire un demi-rictus amusé.

— « C'est drôle ! Je crois que ton envie de chien a réveillé celui de Fenrir. »

Tu le siffles et celui-ci accourt, la langue pendante et la queue qui remue.

— « Cheeseburger... » Tss. Quel nom ridicule pour un chien quand même. « ... C'est Magdalene. »

Tu croises les bras sur ta poitrine.

— « Voyons si tu as la fibre animale déjà. »

Tu détailles ses réactions face à l'animal, tentes d'y lire des intentions. Tu as la prétention de pouvoir analyser la jeunesse et la fougue mais ... pourtant Magda semble imperméable à ton radar. Tu ne sais pas ce qu'il pense, tu discernes que de la fatigue et de la lassitude, en proie à des hystéries silencieuses. Ses passions guident ses élans et tu vois en lui la jeune fille que tu rêvais d'être à son âge. Tu te projettes injustement en lui, ce qui élève tes attentes à un niveau bien trop haut. Tu sais que cette pression involontaire que tu lui voues ne pourrait que le booster davantage s'il l'apprenait mais tu ne veux pas qu'il se complaise dans tes élucubrations édifiantes de ton absence de recul.

Cheeseburger remue la queue, lèche le visage de l'adolescent puis couine pour obtenir son attention quand celui-ci se rassoit finalement sur sa chaise. Tu claques des doigts pour le faire venir à tes pieds puis lui tend un scone nature. En réalité, tu n'as aucune idée de comment on dresse ces bêtes.

— « Je suppose oui. Je n'ai pas l'habitude des animaux je t'avoue. Je pourrais m'occuper de mille hommes mais... un chien ? Ça m'ennuie quand ça n'a pas de conversation et leur absence de raisonnement logique les rende imprévisibles. »

Tu ris, complice d'un moment que vous partagez tous les deux. Fenrir ne doit pas savoir que tu n'es pas à l'aise avec Cheeseburger ! Cette brave bête n'a rien demandé, bien sûr que tu la tolères.

La demande un peu particulière de Magdalene te fait hausser un sourcil, t'arrache un "oh" pudique et tu reposes ta tasse sur sa petite assiette. Tu sembles réfléchir. Est-ce raisonnable de t'abaisser à un geste aussi symbolique, ne pourrait-ce pas justement briser la distance respectable que vous avez entre vous ? Ne pourrait-ce pas alimenter ses passions d'adolescent perturbé ?

Tu hésites.
Tranches finalement d'un ton plus distant.

— « Oui, si tu le souhaites. Cependant Magda, et je sais que tu vas me rétorquer que ça a plus de valeur si cela vient de moi mais je me dois de te demander. Que veux-tu ? »

De moi.
Qu'attends-tu réellement;
De moi.