Quelques pièces qui roulent entre les doigts, Iseult hésite. Observe l’établi avec le sérieux d’une professionnelle. Elle a déjà mille armes, mille lames tranchantes,
et l’immense désire d’en avoir mille autre encore. Iseult se veut coriace, Iseult se veut conquérante. Ah ne serait-elle pas plus sanguinaire armée jusqu’aux dents ? Les quelques poignards à sa ceinture son loin de la satisfaire, folle amoureuse des manches soigneusement ornées et lames tout argentées ; longues batailles tracées.
Iseult n’aime pas le sang, elle aime,
le reflet du métal contre la chair,
la peur au fond des yeux quand soudain l’épée tranche. Les dagues qui virevoltent d’une main à l’autre comme une saltimbanque sur son estrade. Mais la voleuse n’a pas montagne d’or sur laquelle se prélasser ; ne sera probablement jamais dragon gardien du trésor sans cesse rêvé, imaginé. Trop de fierté pour parfois s’avouer vaincue, elle observe avec ennuie sa maigre bourse et les prix extravagant proposés sur l’établi. Les lames lui font de l’œil et pourtant, pourtant là voilà qui rengaine son hargneux sourire, ravale ses sèches paroles pour ranger les quelques pièces en sa disposition.

Car cet achat là n’est pas pour aujourd’hui. Probablement jamais. Un regard aux alentours, voilà la jeune femme qui se décide déjà à revenir quand le soleil ravalera ses rayons ; que la lune leur accordera ses faveurs. Dicton du jour : ne jamais acheter ce qu’elle pouvait facilement dérober. Alors elle retrouve son sourire, qui se fige tout aussi vite en apercevant la tignasse blonde d’Othello. En grognerait presque de frustration, c’est qu’il avait bien du courage de se balader ainsi sur le terrain de chasse de la grande cambrioleuse. Le relais Victoire regorgeait toujours de bonne victime à détrousser, peut-être venait-elle d’en trouver une de plus.
Et il l’a vu. Oh elle sait qu’il l’a vu. Sa démarche droite et le regard bien stricte ne tromperait personne. De part ses cheveux à moitié décoloré et ses vêtements poussiéreux trop grand pour elle, Iseult ne passe pas inaperçu. Il s’approche ; elle s’apprête à l’appeler.
Et referme bien vite la bouche en le voyant continuer sa marche sans même lui accorder un regard.
Ah.
Froncement de sourcil, elle l’insulte en pensée de mots bien trop affreux pour être réellement prononcés.
S’il voulait jouer à ça… la voilà qui finit par le suivre dans un haussement d’épaule, chapardant au passage une brochette de viande bien vite enfournée dans sa bouche affamée. A peine quelques pas derrière lui, Iseult ne se fait pas discrète, soupire et mâche la bouche ouverte en se questionnant.
En ruminant l’ignorance total dont elle venait d’être victime.
Quelques secondes de plus à le suivre, regard fixé sur le dos trop droit trop guindé de l’adolescent.
Un regard mauvais, ceux qu’elle préfère ; aime à perfectionner.
Mais c’est qu’elle s’ennuie vite. La brochette dévorée, le pic en bois vient s’écraser sur la tête du pauvre Othello. C’était le moment pour un fin trait d’esprit.

« Connard. Arrête de m’ignorer ! »

Elle aurait pu faire pire et se fiche bien des quelques regards outrés que lui lancent les passants. Les mains sur les hanches, Iseult est furieuse, Iseult est scandaleuse.

« Respecte un peu tes ainés ! »

Elle-même ne respectait pas les siens, mais tout de même.

Othello est un garçon bien patient. Patient oui, mais tout de même. Le projectile fait son effet et le voilà qui se retourne la colère au fond des yeux. Si Iseult n’apprécie pas spécialement que l’on agite un doigt devant elle, elle laisse couler, légèrement amusée par la tirade qui suit.
Les situations à problèmes, elle aimait ça.
Un peu de chaos dans les veines, un peu de rage à extérioriser.  
Elle aime,
se compliquer la vie,
engendrer les soucis,
suivre les orgueilleux petits celestiens.
Les mains toujours sur les hanches, c’est à elle de froncer les sourcils (presque d’incompréhension).

« C’est marrant d’emmerder le monde. »

Et ce sera là sa seule défense.
Ah obstiné était le mot, l’essence même de la jeune femme aux mains voleuses, baladeuses. Elle se rapproche, un sourire narquois aux lèvres. Un peu trop près, un peu trop prédatrice.

«  Pourquoi tant de haine ? T’as l’air perdu, je voulais aider. » Ah personne n’était dupe. « Fait attention à ta bourse, il y a de méchants voleurs dans le coin. » Une moue amusée. « Et d’horribles mangeurs d’enfants. »

Et peut-être parlait-elle d’-elle-même.

Oh l’énervement la ravit, petit visage courroucé juste pour elle ; Othello n’est pas le plus patient des adolescents. Iseult pas la plus calme des femmes. Ils sont deux opposés, deux belles étincelles qui ne pensent qu’à s’étriper.
Iseult a se sourire. Sait qu’elle énerve. Sait qu’elle appelle le chaos dans sa simple posture, simple présence. Oh petit Othello n’aurait pas dû trainer par ici, elle se fera tempête, monstre aux yeux bridés.
Mais il n’est pas aussi naïf, les mangeurs d’enfant ne prennent pas, elle s’en serait doutée. S’amuse pourtant à le pousser à bout. Jusqu’au bout.

« T’as quel âge déjà ? 12 ans ? Excuse moi d’essayer de me mettre à ton niveau. »

Tous deux sachant pertinemment que le niveau ici, c’est certainement elle qui ne l’a pas.
Un regard vers les poches du blondinet, avide. Quelle somme d’argent un petit celestien dans son genre pouvait bien avoir dans sa bourse ? Plutôt que de deviner, la voilà bien tentée de dérober. Mais elle relève les yeux, parfaitement innocente.

« J’veux rien. T’as qu’à continuer ta balade, fais pas attention à moi. »

Avec un peu de chance elle pourrait discrètement chaparder le fond des ses poches.

Elle marmonne dans sa barbe pour la forme. La pensait-il vraiment prête à rester là pour sa simple et si agréable présence ? Non, tout de même.

« T’es pas le centre du monde hein. »

Histoire qu’il ait bien compris.

Elle voit bien qu’elle l’insupporte, n’est-ce pas là le plus beau moment de la journée ? Quand petit être ne pense qu’à soupirer ; d’ennui ô folle envie de la voir disparaitre.
Mais Iseult est cafard sous la peau, chewing-gum sous la semelle quand elle décide de ne pas lâcher.
17 ans oh vraiment. Haussement de sourcil.

« J’y étais presque. »

Presque.
Et cela ne fait pas grande différence pour la cambrioleuse qui sournois félin déjà se rapproche. Une proie si fidèle elle ne saurait la délaisser.
Elle a le don de l’agacer, ah n’est-ce pas là une belle déclaration d’amour ? Iseult a le grand sourire qui dévoile les dents toutes blanches ; prêtent à percer, prêtent à dévorer. Elle ne répond rien et sa malice veut déjà tout dire.
Et quand il se détourne, la voleuse le suit sans se presser.

« T’inquiète j’suis jamais fatiguée. »

Bon peut-être répondait-elle un peu à coté de la plaque mais elle s’en fiche, cruellement ravi de se voir finalement accepter dans cette petite balade.

« Ah parfait ! Je peux jouer les gardes du corps si tu veux. Faudra me payer évidemment. »

N’ayant aucunement l’intention de se tenir tranquille et de garder ses idées pour elle, Iseult le dépasse et finit par prendre la tête de la marche.

« Fait gaffe aux brochettes de viandes tu pourrais te tuer avec. » Elle tourne la tête pour le dévisager de haut en bas en fronçant les sourcils. « T’as pas l’air très coriace et t’es tout pâle. T’es malade ? »

Oh comme elle aime cette petite lueur ; explosion d’agacement dans les yeux de l’autre. Elle s’en lècherait les babines, gros matou ronronnant de contentement. Othello était une cible si facile, bien trop facile.
Pour de l’argent, ah Iseult ne ferait pas grand-chose pour de l’argent. N’a que faire d’un grand palace aux murs dorés, d’une jolie vaisselle toute dépoussiérée. Mais elle qui ne jure que pour les belles armes aux bords tranchants, a pourtant besoin d’une bourse bien remplie pour pouvoir s’acheter les plus belles, les plus chers. Car il ne faudrait pas toujours tout dérober n’est-ce pas ? Et si on lui refusait l’entrée au marché ? L’entrée au Relais ? Non non non, il ne faudrait pas qu’elle devienne la méchante en ces lieux, la vilaine voleuse aux mains trop baladeuses. Il fallait choisir. Et elle avait fait son choix. Aussi le laisse-t-elle penser ce qu’il veut.

« Ya plein de chose que je ferais pas tu sais… genre être payée pour te tenir compagnie. »

Elle ricane, peu consciente qu’en tant que garde du corps (même autoproclamé), cela revenait légèrement au même. Elle garde pourtant quelques secondes le silence. Ah les mercenaires ici, ça courent les rues, les ennuis arriveront bientôt elle en est certaine.
Encore un regard pour ce corps trop pâle, haussant un sourcil bien perplexe.

« Hm. C’est vrai que t’as l’air d’un grand guerrier là. »

Est-ce qu’il blaguait ? Elle n’arrivait pas à savoir. Finit pourtant par hausser les épaules, nonchalante.

« Quels trucs ? Aaah c’est pas si important t’inquiète pas. J’ai trouvé mieux à faire finalement. »

Iseult vient tapoter l’épaule de l’autre venu marcher à sa hauteur.
Oh et puis un peu de divertissement ne ferait pas de mal.
Alors elle le pousse. Pas trop fort oh non, juste de quoi le faire heurter un pauvre bonhomme bien imposant.
Mais il savait se défendre, n’est-ce pas ?