good riddance

Tu as envie de crier. Tu as envie d’hurler. Tu as envie d’insulter à peu près tout le monde, d’insulter la vie, d’exprimer ta rage face à l’injustice de ce monde. Et c’est ce que tu avais fait, presque, alors que ton regard dédaigneux, colérique, se pose sur la pauvre personne qui avait refusé de te guider jusqu’à la vallée, ce pseudo-pays qui avait refusé que tu le rejoignes, un énième refus qui t’amenait à une seule conclusion : tu étais seule. Cruellement seule. Seule dans un monde que tu ne connaissais pas et qui te dépassait. Seule dans un monde où tout semblait plus beau, plus coloré, loin des menaces de la surface, celles qui avaient ponctué ton quotidien des dernières années. Et pourtant…

Et pourtant, ce monde-là t’écoeurait.

Tu n’as aucune idée d’où est-ce que tu es et ce que tu vas faire. Tu n’as pas attendu plus longtemps avant de partir, t’étant permise de les insulter avant que tes pas ne te mène ailleurs. Mieux valait que tu ne restes pas plus longtemps, sans quoi tu allais sans doute te battre. Chose qui, finalement, n’était peut-être pas recommandée alors que tu commençais une nouvelle vie dans un nouvel endroit. Une nouvelle vie où tu pourrais devenir qui tu voulais, recommencer à zéro, prétendre être une nouvelle personne. Mais pour quoi faire ? À quoi est-ce que ça servirait ? Après tout, ce n’était pas comme si eux s’en souciaient que tu puisses devenir une nouvelle personne, accusant ton égoïsme sans prendre en compte ce que tu avais traversé jusqu’à maintenant, pour en arriver ici. Ils se sont contentés de balayer ton sale caractère sans jamais s’arrêter et réfléchir au fait qu’ici, en sécurité, dans un environnement plus paisible où ta vie ne serait pas menacée de façon constante, oppressante, peut-être que tu pourrais changer.

Non, ils t’ont rejeté, t’envoyant tu ne savais trop où, sous prétexte qu’ils ne voulaient pas de gens comme toi chez eux. Alors tu n’allais pas changé. Au contraire, c’était la colère qui motivait tes pas, qui grondait en toi, face à une injustice pour laquelle tu ne pouvais rien faire, rien changer.

Tu ignores combien de temps tu as marché, tu sais juste que tu cherchais à t’éloigner le plus possible. Aller quelque part, n’importe où. Ailleurs. Sans trop savoir où pouvait bien se trouver ce ailleurs et ce que tu allais y trouver. Tu sais juste que tu en es arrivée à un oasis, à force de marcher, là où plusieurs autres personnes se trouvaient. Et tu t’es donc approchée de l’eau, comme pour y trouver un certain réconfort dans ce décor qui se détachait du sable à perte de vue, qui t’offrait une image bien plus belle, presque réconfortante, ce qui t’avait cruellement manqué à la surface. Et tu t’approches de quelqu’un, la première personne que tu croises, un homme que tu ne regardes pas vraiment, n’y portant pas spécialement attention. - Est-ce que tu peux me dire où est-ce qu’on est ? Parce que finalement, aussi fière tu pouvais être, t’avais peut-être besoin d’un peu d’aide pour tes premiers pas en ce nouvel endroit.

good riddance

L’Oasis, donc. Le seul endroit avec de l’eau et un peu de verdure dans les environs. Ton regard passe sur les alentours, un décor somme toute agréable, apportant une certaine tranquillité que tu avais presque oublié, depuis le temps. Car aussi énervée pouvais-tu être, remontée contre ceux t’ayant refusé l’asile, un confort dans ces pays fondés il y a de ça quelques années, tu constatais ici, maintenant, que tu n’avais plus à vivre dans l’urgence. Que ta vie n’était plus menacée. Que tu pouvais finalement souffler, respirer et peut-être, pourquoi pas, recommencer à vivre ? Une douce éventualité qui te faisait rêver, qui te plaisait, qui décrochait un sourire sur tes lèvres. Faible, certes, mais bien présent.

Le premier depuis que le monde s’était écroulé sous tes pieds.
Littéralement.

Or, ton sourire n’est que de courte durée. Tu t’apprêtes à le remercier pour ses informations, portant ton regard vers lui, alors qu’il t’interrompt. Ton nom. C’est ton nom qui s’échappe de ses lèvres, qui te prend de court, te force à t’immobiliser. Il te connait. C’est ce qu’il te fait savoir, qu’il te connait. Qui ? Et comment ? Tu l’observes plus attentivement, ton regard sur ses traits, le détaillant, avant que... - Mackenzie ?  

Était-ce vraiment lui ? Tu penses. Non, t’en es même sûre et c’est donc le plus naturellement du monde que tu regardes autour de lui, plus activement, comme si tu cherchais quelque chose. Ou plutôt, en ce moment précis, quelqu’un. Quelqu’un qui aurait dû se trouver à ses côtés, ou, tout du moins, quelqu’un qui l’était six ans plus tôt. Et si tant de choses avaient changé, au cours de ces six années, pour toi, c’était un peu comme si le temps s’était figé. - Est-ce que Mathilde est là ? Elle va comment ? Ton regard qui s’éclaire d’une lueur d’espoir, d’une envie soudaine de retrouver ta vie d’avant. Ou, tout du moins, de retrouver un semblant de normalité. Et, par la présence de Mackenzie, tu croyais presque ça possible.

Presque.

good riddance

Mackenzie.

Il s’agit bien de lui. Évidemment que c’est lui. Il t’a reconnu, là où toi tu n’aurais peut-être pas fait le lien s’il n’avait rien dit. Si ton nom ne s’était pas échappé d’entre ses lèvres. Cependant, sa réaction n’était pas celle que tu aurais cru avoir, pas celle que tu aurais souhaité. Mathilde. Tu lui demandes où est Mathilde. Ta soeur. Ton aînée. Celle que tu n’as pas toujours aimé, celle que tu as souvent tenu éloigné de ta vie. Celle à qui tu ne donnais pas souvent de nouvelles, une vie trop occupée, prise ailleurs, prise par tes nombreuses causes que tu souhaitais défendre. Tu n’as pas souvent retourné ses messages, ni ses appels.

Tu ne te souviens même pas de la dernière chose que tu as pu lui dire.

C’est pour ça que tu espères la revoir. Que tu t’accroches à l’idée qu’elle est ici. Avec lui. Sauf que ce n’est pas le cas. C’est ce que tu comprends de son mouvement de recul, de ses excuses à peine articulées. Ce que tu comprends alors qu’il prend la fuite. - Mackenzie ! Plus fort, comme pour le rappeler, comme pour l’empêcher de partir. Et alors que ça ne suffit pas, tu t’élances à sa suite.

Parce qu’il ne peut pas partir.
Il n’a pas le droit de t’abandonner. Il ne peut pas faire comme les autres. Ne peut pas ne pas te tendre la main. Il ne peut pas te laisser seule. C’est ce que tu te dis alors que tu le rattrapes, que ta main se referme sur son poignet, lui envoyant malgré toi une décharge qui remonte aussi le long de ton bras. - Je eh… Tu sursautes, le relâche. - Je suis désolée. Observant ta main, confuse, sans trop savoir ce qu’il vient de se passer, croyant qu’il s’agit de toi pour une raison qui t’échappe, que tu ne comprends pas encore. Que tu ne connais pas encore, parce que personne n’a cru bon de te dire ce qu’il t’arrivait. - Mathilde. Tu te ressaisis.

- Où est-elle ?

good riddance

Il a paniqué. Toi aussi. Tu as paniqué lorsqu’il est parti. Tu as paniqué à l’idée d’être seule, à nouveau, alors que tu venais peut-être de trouver un point d’ancrage, quelque chose, ou plutôt quelqu’un, capable de te guider un peu, ne serait-ce qu’un minimum, alors que tu faisais tes premiers pas ici. Alors que tu avais finalement le droit de respirer, de prendre ton temps. Que l’urgence n’était plus omniprésente, la menace non plus. Le simple fait de le voir, de voir un visage familier, avait suffit à créer ce besoin en toi : celui d’avoir quelqu’un à tes côtés, seulement pour quelques instants.

Lui.
Et ta soeur.

Parce que, bien évidemment que tu voulais ta soeur avec toi. La revoir. Le dire tout ce que tu ne lui avais pas dit. Des mots jamais vraiment articulés, des messages que tu ne lui avais pas envoyé. Une distance s’étant installée naturellement, parce que tu étais jeune et insouciante. Parce que, dans ta tête de jeune femme d’à peine vingt ans, tu avais toute la vie devant toi, tout le temps de rattraper les pots cassés avec celle qui partageait ton sang. Alors pourquoi se presser ?

C’était ce que tu avais toujours cru, jusqu’à ce que le monde s'effondre littéralement, t’arrachant tous ceux à qui tu tenais. Et si ce n’avait pas été la destruction des capitales, ça avait été les monstres, ces créatures qui avaient fauché tant de personnes, d’inconnus devenus familles. Tant de morts. Pourquoi ? Pourquoi y avait-il eu tant de morts ? Pourquoi certains avaient survécu ? Et si tu leur en voulais tous, à tous ceux qui avaient survécu ici, tranquilles, loin de la réalité de la surface, peut-être que tu pourrais leur pardonner. Parce que peut-être que tu pourrais revoir ta soeur. Et tes parents ? Tous tes proches qui s’étaient trouvés là où le sol les avait engloutis. Tu as cet espoir. Un sentiment que tu as perdu et qui pourtant revient. Un sentiment qui aurait pu être si agréable s’il n’avait pas tout brisé en toi de quelques mots à peine.

Tu te figes. Tu te figes alors qu’il se laisse tomber au sol. L’éclat dans ton regard n’est plus. C’est une flamme qui s’y trouve à la place. La rage. La colère. C’est un amalgame de sentiments négatifs, violents, qui viennent remplacer le court moment paisible que tu venais de connaître. Et ce qui s’échappe d’entre tes lèvres n’était peut-être pas ce que tu aurais voulu lui dire.

Mais tu n’y peux rien, tu es impulsive.

- Comment ça, elle est morte ? Au travers le feu qui brûle en toi, qui menace de te consumer, il y a aussi la consternation, la peur. Le vide qui suit ses paroles. - Pourquoi ? Alors que tu le dévisages, que le ton commence à monter. - Pourquoi est-ce qu’elle est morte, Mackenzie ? Tu répètes ces mots qui te font tant de mal, que tu refuses d’assumer. Avant d’exploser. - Pourquoi est-ce que tu l’as laissé mourir ?! Tu n’en as que faire d’attirer l’attention alors que tu lui craches ton venin au visage. - Pourquoi est-ce que tu ne l’as pas protégé ?! Tu l’accuses lui sans rien savoir de l’histoire, sans prendre en compte ses sentiments. Parce que tu as mal. Et que tu as besoin d’un coupable. Quelqu’un à accuser. Quelqu’un à qui faire porter tous les torts.

Tous tes regrets.
- T’aurais dû être là pour elle. Pas lui, toi. Tu aurais dû être là pour elle. Et pas qu’avec sa mort, avant. Lorsqu’elle cherchait à renouer avec toi, à approfondir votre lien. À se rapprocher de toi, sa cadette. Tu aurais dû être là, plutôt que de ne pas répondre à ses messages. Trop occupée, que tu te disais. Tu avais le temps, que tu te disais. - T’aurais pas dû l’abandonner. Ta voix se brise sur la fin, un sanglot sans que tu ne verses de larme.

Tu n’aurais pas dû l’abandonner.

good riddance

La joue te brûle, picotement désagréable qui ne fait qu’attiser la feu qui brûle en toi, tempête qui n’a rien de chaleureuse et qui menace de te consumer toute entière. Pourquoi était-elle morte ? Pourquoi n’avait-il pas été là pour la protéger ? Pourquoi ne l’avait-il pas sauvé ?

Pourquoi, toi, n’avais-tu pas été là ?

De cette rencontre hasardeuse en résultait quelque chose que tu n’avais pas prévu, croyant presque pouvoir trouver un peu de support dans cette nouvelle vie pour finalement te prendre une gifle qui avait surtout fait mal à ton égo. Et la douleur n’était rien comparé sa dernière question, accusant ton absence de ces dernières années alors que tu ne répondais que très brièvement à ta sœur, ne lui donnant que quelques signes de vie sans trop t’intéresser à sa vie. C’était ça, la vie adulte, un mode de vie occupé, des tas de causes à défendre, ton attention avait été partagée, un peu trop, et tu avais négligé certaines relations.

- T'as pas le droit. Sifflante, la mâchoire serrée. - T’as pas le droit de m’accuser d’avoir voulu vivre ma vie. J’avais à peine vingt ans, bordel. Vingt ans. Des années qui ne reviendraient pas, une jeunesse perdue, s’étant effondrée en même temps que le monde, éclantant face à la cruelle réalité qui s’était dessinée devant toi. - J’étais pas avec elle. Et tu t’en veux. Tu t’en veux de ne pas avoir été plus là, pour elle. D’avoir autant négligé votre relation. De ne pas lui avoir dit plus souvent que tu l’aimais. Parce qu’elle te manquait. - J’aurais rien pu faire pour elle ?! Parce que j’étais en voyage, y’a six ans. Et que je suis restée à la surface. Un frisson de dégoût vient descendre le long de ton échine alors que tu te remémores ces monstres qui t’avaient tant traumatisé. - Mais toi t’étais là.

Tu t’en veux. Tu t’en veux terriblement et tu ne sais pas comment gérer ce sentiment de culpabilité qui t’étouffe. Alors tu retournes le tout vers lui, pour avoir quelqu’un à accuser, quelqu’un à détester autre que toi-même. - T’étais là et tu l’as laissé crevé. Et elle était morte.

Et plus jamais tu ne le verrais.