Une vie des plus classiques pour une jeune demoiselle comme il en existe tant autour du monde. Étudiante en journalisme, tu avais une envie de liberté, pour toi et pour les autres, des rêves de grandeur sans doute un peu utopique tandis que tu voulais dénoncer les tragédies se déroulant tout autour du globe, mettre ta vie en jeu pour aider à libérer tous ces gens dont leur réalité était étouffée pour que nul en ait réellement conscience. Tu étais une jeune demoiselle droite, une jeune demoiselle qui osait croire en la justice, ne pouvant accepter que tous soient aussi corrompus, aussi aveuglés par un désir de puissance, d’argent, allant jusqu’à balayer du revers de la main ce qu’ils ne voyaient pas voir pour s’alléger la conscience. Et si une partie de toi savait que c’était la réalité dans laquelle tu vivais, la jeune femme pleine d’espoir que tu étais refusée d’y croire. Il y aurait bien quelqu’un, quelque part, pour t’entendre. Pour faire changer les choses.

Et les choses, elles ont changé.
C’est aussi comme ça que tu as perdu foi en la vie.

Parce que tu as vu le monde s’effondrer, ta réalité se fracturer de ces capitales s’étant faites engloutir par le sol. Tous ces gens disparus. Ces gens morts. Le chaos qui en a suivi. Les réseaux qui se sont effondrés.

Les monstres qui sont apparus.

Toi qui avais toujours cru en la vie, à ce juste retour des choses, que tu recevrais autant que tu donnerais, que les bonnes personnes parviendraient à triompher en mettant leur énergie au bon endroit, force était de constater que ce n’était qu’une vaste blague. Que face à la vie qui s’éteignait, face au désastre qui s’étendait devant tes yeux, il n’y avait plus aucune justice. Rien à faire, rien à offrir. Les plus fortunés avaient une chance, un peu, protégés derrière des remparts capables de repousser ces monstres qui déambulaient autour de la Terre. Quant aux gens comme toi ? C’était la mort, qui vous attendait, ni plus ni moins. La fuite. Une tentative de rebâtir un semblant de civilisation là où vous étiez presque en sécurité, jusqu’à ce que de ces monstres viennent réduire à néant vos efforts en quelques instants à peine.

Une réalité difficile. Difficile à regarder. À accepter. Une réalité qui t’avait arraché tout ce qu’il y avait d’important en plus de t’arracher une partie de toi-même. La naïveté avait laissé place à la rancoeur, le positivisme au cynisme.

Tu ne sais pas trop ce qui t’a mené à sauter. La perte de toute espoir ? Cela faisait presque un an, si tu savais encore bien compter les jours, que les énormes trous étaient réapparus, que nombreux humains s’y étaient laissés tomber, soit parce qu’ils avaient abandonné, soit, au contraire, parce qu’ils avaient espoir d’y retrouver leurs proches perdus. Et toi ? La curiosité, sans doute. Savoir ce qu’il y aurait, au fond de ce trou. Après tout, tu pouvais bien y mourir, qu’est-ce que ça changerait ? Là-bas ou ici, la mort était ce qui t’attendait, menace inévitable malgré les années à fouler ce sol, rescapée de nombreuses attaques, là où tant avait péri malgré toutes vos tentatives de rester en vie.

Plus rien ne te retenait ici, alors, qu’avais-tu réellement à perdre ?

Rien. C’était ça la réponse. Tu n’avais rien à perdre et, finalement, tu avais tout trouvé, en sautant dans ce trou béant, en atterrissant dans ce dédale de tunnels donnant sur un désert qui s’étendait devant toi à perte de vue. Un nouveau monde. Un monde qui avait pris naissance six ans plus tôt, lorsque tout t’avait été arraché. Un monde qui t’avait fasciné, quelques instants, avant de presque t’écoeurer. T’écoeurer par l'opulence de bonnes choses dont nul ne semblait réellement profiter, désirant toujours un peu plus encore que ce qu’ils avaient. T’écoeurer par le rejet et la discrimination, de ces gens qui t’ont tourné le dos alors que tu venais à peine d’arriver. Pourquoi ça ? Pourquoi te refuser de les rejoindre ? Pourquoi te tenir à l’écart ? Était-ce ce qu’ils avaient fait avant toi ? Pour tous ces autres qui avaient été abandonnés ?

Là où la mort sévissait à la surface, eux avaient eu la chance de survivre. De vivre loin de toutes ces menaces.

Et ils ont quand même trouvé le moyen de s’abandonner les uns les autres ?

Tu as l’impression que tu pourrais en être malade, face à cet égoïsme évident, celui-là même qui t’habitait désormais. À quoi bon te soucier des autres alors que les autres ne se souciaient pas de toi, encore moins ceux en position de pouvoir ? L’apocalypse avait frappé, votre monde avait manqué d’être complètement annihilé et personne ne semblait avoir appris de leurs erreurs. En haut comme ici, les problèmes restaient les mêmes. Une prise de pouvoir injuste, dirigeant des pays sans aucune réelle légitimité, ayant profité d’un moment chaotique, de vulnérabilité, pour se hisser au pouvoir. Pour prendre ce qu’il ne leur appartenait pas. Et plutôt que de tendre une main salvatrice, de donner l’occasion à ces pauvres âmes perdues, comme toi, de redonner une chance à la vie, ils vous rejetaient, vous refusaient une entrée dans leur pays. Ces pays fondés sur quoi ? En quelle raison ? Qui avait décidé de ce territoire serait le leur ? Eux-mêmes ?

La bonne blague.

Tu as donc tourné dos à tous ces pays, un peu vexée, finalement, de l’accueil qu’ils t’avaient réservé, pour te diriger là où tu pourrais t’y trouver une petite place. La Baie des Songes appartenant à un homme aussi mystérieux qu’énigmatique, propriétaire des lieux sans sembler pourtant vouloir en prendre les rênes. T’ignores si, vraiment, tu vas pouvoir y trouver ta place, mais ce serait déjà un peu début. C’est pas comme si t’avais vraiment eu le choix, de toute façon.