Lasse d’attendre, Iseult observe d’un air ennuyé l’eau trouble de l’oasis. Il fait chaud, bien trop chaud pour passer cette journée à rouler dans le sable, s’emmêler dans la poussière. Elle a pourtant dit oui, elle sera guide, elle sera bergère des petits Caeriens démunis.
Et déjà, ça la fait chier.
Iseult n’a aucune envie d’être là et troquerait volontiers cette mission pour une bonne sieste à l’ombre des palmiers. A pourtant promis à Alessio et rien que pour ça, la jeune femme prend son mal en patience.
N’a pas tout compris, ah c’est qu’elle écoutait à peine. Servir de guide dans le désert, elle qui ne vit de rien, râle de tout.
Pourquoi pas après tout.
Pourquoi pas.

Vêtue d’un t-shirt ample (un peu) trop grand et d’un horrible jean (un peu) troué, elle patiente. En viendra bientôt à compter le sable, shooter dans les nuages. Elle se dit qu’elle n’a vraiment rien à faire là. Se dit qu’elle n’a pas assez d’ami ici pour passer leur rendre visite, là au campement des nomades.
Pas assez d’ami tout court.
C’est triste et elle en ricane toute seule.
Car ça ne l’intéresse pas. D’un geste expert, la voleuse vient faire voltiger un poignard ; fendre l’air et récupérer là au bout des doigts la lame habilement aiguisée.
Il lui manque une cible mouvante. Petit Caerien fera-t-il l’affaire ? Elle ne sait pas, ne le connait pas. S’en fiche un peu à vrai dire,
si seulement il voulait bien arriver.

Elle avait fini par s’assoir sur un rocher, ruminant son ennui mortel tel un enfant délaissé. Deux lames lancées en l’air. Trois lames et déjà ça l’agace.
Jusqu’à ce que son nom résonne, entre le sable et les palmiers ; appel désespéré. Iseult relève la tête, fronce les sourcils, une main devant ses yeux pour s’abriter du soleil, scruter les alentours.
Et voir arriver en courant un rouquin qui un instant, lui parait bien familier. Les souvenirs sont flous, brumeux. Et alors que la silhouette s’approche, la tache de vin caractéristique vient lui faire écarquiller les yeux.
Ji-Hoon.
Impossible.
Elle descend de son rocher, bien trop surprise pour éviter le sable qui s’élève pour lui égratigner le visage.

« Ji-Hoon ? »

Et étonnement, la voleuse a presque envie de le prendre dans ses bras. Juste un instant, juste une seconde.
Mais Iseult n’est pas tactile non, Iseult est sauvage, exécrable. Alors toujours aussi étonnée, elle se contente de s’approcher, de détailler le nouveau venu des pieds à la tête.
Il a bien grandi.
Ils ont bien grandi.

« Qu’est-ce que tu fais là ? J’te croyais à l’abris chez tes grands-parents ? »

Non vraiment elle ne comprend pas. Qu’il se soit jeté là dans le gouffre pour s’écraser ici-bas. Car si elle avait pu choisir, nul doute qu’Iseult n’aurait jamais tenté l’aventure. Tenait malheureusement bien trop à sa liberté, s’était laissée tenter.
Plus surprenant encore, le coréen semblait bel et bien être l’objet de sa mission.

« Me dis pas que c’est TOI que je dois accompagner ? J’fais pas du babysitting !! »

Iseult oubliait bien vite leur âge identique. Pourtant, un sourire vient petit à petit pointer le bout de son nez. Heureuse de revoir Ji-Hoon. Heureuse de renouer avec un pan de son passé.

Iseult ne faisait pas attention aux gens, se fichait bien des alentours s'il n'y avait rien à dérober. Le petit garçon devenu grand, peut-être ne l'aurait-elle pas reconnu sans cette tâche de vin si caractéristique. Elle l'observe, silencieusement ravi qu'il soit en forme (du moins en avait-il l'air). Ravi que les transcendés n'en aient pas fait leur goûter. Oui, le petit Ji-Hoon a bien grandi. Et elle ? Elle pense un instant à ses cheveux grossièrement décolorés, dépareillés. A sa dégaine sauvage ou la délinquance est faite reine. Aux lames à sa ceintures, aux flammes dans ses yeux.
Oh oui elle a changé.
Probablement en mal, elle en est presque consciente.
Et ça lui va.
Comme ça lui va que son ami ait gardé cette douce jovialité, limpide naïveté. N'oserait presque s'avancer, le toucher ; c'est qu'il ne faudrait pas tacher les jolis innocents.

« J'ai sauté, j'avais des flics un peu trop collants derrière moi et tu m'connais... Les cages c'est pas mon truc.»

Un sourire ironique, oh non elle préférait se briser les jambes au fond du gouffre que de se voir enfermer à double tour.

Le mot "ami" la fait un instant grimacer. Puis sourire. Ah elle avait donc un ami ici finalement, l'idée lui plaît, elle qui n'est pas du genre à s'attacher. Une exception pour le rouquin, une exception faite il y a bien des années quand en fuite, elle en voulait au monde entier.
Alors avant de changer d'avis, Iseult vient ébouriffer la chevelure de l'autre dans un geste rapide, presque désabusé.

« Ouai ouai, va pas te faire bouffer par les hyène, moi je viendrais pas te sauver.»

Ou peut-être que si.
Elle n'avait pas encore décidé.
La voilà bien intriguée par son histoire et le livre de plante. Les herbes, ce n'étaient pas son truc, mais elle reconnaissait effectivement quelques photos. A la vu du roseau la jeune femme ne peut s'empêcher de tapoter la page, toute excitée.

« Ah ça je connais !! Yen a plein par ici. »

Et sans attendre, elle se redresse pour se diriger vers l'eau, se fichant bien du nom de la plante.

« C'est pour faire quoi ? Du poison ? »

Dit comme ça, ça avait l'air vraiment cool.

Doux retour au passé, Iseult a l’infime sourire au bord des lèvres. Une retenue qu’elle n’est pas encore prête à délaisser, pas même pour Ji-Hoon. Pas même pour ce petit garçon un jour rencontré quand les pieds poisseux de sang, elle ne savait où aller. Cet aparté loin du reste, elle l’a chéri, enfermé dans un petit coin du cœur bien loin des lames et des revanches. Bien loin de l’Iseult qui une batte à la main, s’amusait à briser les devantures ; le verre et puis parfois les os. Oh infime moment tellement aimé quand une famille qui n’est pas la sienne lui tend la main et tient à la garder précieusement.
Oh infime moment, elle s’est dit que ce n’était pas pour elle et que ça ne le serait jamais. Personne n’adopte les petits monstres dans son genre, elle en ait persuadé ; jusque dans son âme, jusque dans sa chair.
Alors un jour on arrive, le lendemain on repart.
En sifflotant un peu car Iseult n’a que les longues routes pour goûter à la liberté quand tout là-haut seuls les oiseaux n’ont chaînes à leurs pieds.

Elle ricane un peu, ah Ji-Hoon n’avait pas l’air d’avoir oublié le sale tempérament de la voleuse et peinait même à la suivre au bord de l’oasis, tel l’enfant qu’il était à l’époque sur les traces de l’infatigable orpheline qui toujours voulait courir, toujours voulait sauter.

« Ah ok. C’est pas du poison si c’est du sable alors. »

Elle n’avait absolument rien compris au jargon scientifique de l’autre et tout ce qu’elle retenait là, c’est qu’Alessio se lançait dans le jardinage. Pourquoi pas après tout, elle se contente de hausser les épaules, si peu intéressée, attrapant le sécateur d’une main experte.
Les armes coupantes, oh ça elle connaissait par contre.
La jeune voleuse s‘accroupit, imitant minutieusement les gestes du coréen car elle ne voulait certainement pas rater sa mission.
Les sourcils froncés, la voilà bien concentrée pendant une ou deux minutes. Avant de lâcher son outil.

« C’est chiant. » Effectivement ça l’était.
« Comment va ta famille ? Ta sœur ? Vous vous êtes pas fait manger par les transcendés au moins ? »

Petit ricanement, fière de sa blague et peu soucieuse de mettre les pieds dans le plat

Le sourire tombe, s’effondre comme un simple château de carte ; Iseult à souffler si fort que tout s’est envolé. Et bien quoi ? Elle grimace, se rend compte d’avoir parlé trop vite, d’avoir mis les pieds dans le plat. Si Ji-Hoon affiche une tête bien désespérée, Iseult ne fait pas mine de vouloir l’épauler. Aider, elle ne sait pas faire. Pourtant, petite pointe de tristesse. Elle se demande qui, elle se demande quand.
Plus de nouvelle de ses grands-parents, la jeune femme secoue la tête en scellant définitivement sa bouche à la langue souvent trop pendue. Non elle ne le dira pas, que pas de nouvelle voulait probablement dire qu’ils n’étaient déjà plus de ce monde. Car du peu qu’elle s’en souvenait, le couple était bien protecteur envers leurs deux petits-enfants. Les laisser partir sans plus jamais donner de nouvelle ? Elle n’y croit pas Iseult, mais se refuse à déclarer à son vieil ami ce qu’elle pense avoir deviner. Ah peut-être se trompe-t-elle ! Et elle l’espère oh vraiment, mais la vie, elle a appris à la connaitre ; l’aimer (la détester) dans ses bons et ses mauvais moments. Tirer la langue aux transcendés et sourire quand du bout d’une lame elle leur arrachait la chair ; eux qui ne sont déjà plus pauvres mortels.
Ba, il comprendra bien vite que les malheurs arrivent trop vite.
Ji-Hoon a donc sauté avec sa sœur, elle acquiesce, se forçant à ne pas poser plus de question car le jeune homme ne semble pas vouloir en dire plus.
Elle patientera donc et ça, elle ne le ferait certainement pas pour tout le monde.

« Ah... »

Et c’est maintenant à son tour d’afficher une mine de déterré. Ravaler les questions qui lui brulent la langue, ce n’est pas chose aisée. Alors elle se concentre sur le travail après cette dernière syllabe résumant bien toute son incroyable éloquence ; elle avait franchement déjà fait mieux.

Silence silence, et quand le coréen se relève enfin, Iseult pousse profond soupire de soulagement.

« C’est pas trop tôt, ils sont coriaces tes roseaux. »

Et elle n’avait pas que ça à faire. Jouer la petite vieille accroupie pour arracher l’herbe ? Elle en avait déjà marre, suivant les directives de Ji-Hoon d’un air maussade.

« Tu veux pas plutôt ça ? » D’un geste rapide, elle vient pointer du doigt une jolie petite fleur jaune parfaitement banale poussant à deux pas d’eux. Une fleur en valait bien une autre non ?
Et puis du pavot ? Ah elle n’allait certainement pas avouer ne pas savoir à quoi ça pouvait bien ressembler.

« Ouai ouai je me souviens… » Froncement de sourcil, elle ne se souvenait pas du tout non.

Délaissant les explications du coréen, Iseult s’enfonça dans les plantes proches de l’oasis, jusqu’à s’en éloigner au bout de quelques minutes de marche.
De grosses plantes qui font de l’ombre donc.
Ca ne devait pas être trop compliqué à trouver.
D’un geste de profond ennuie, elle vient shooter dans un petit caillou, se retournant vers Ji-Hoon sans s’arrêter de marcher.

« Si tu veux on rentre. J’dirais à Alessio qu’on a faillit se faire manger par des hyènes. Fait trop chaud pour travailler. »

Dans le désert, c’était pourtant là en temps tout à fait correct mais Iseult, maintenant habituée au doux temps de la Baie des songes l’avait vite oublié.