C’est une silhouette familière qui se dessine à l’horizon; les traits se font plus nets au rythme des pas nonchalants guidant la marche et alors que la distance s’amoindrit, t’y reconnais Onyx. E c’est bien parce que t’es à la Baie, havre de mirage que c’est avec facilité que tu te convaincs que c’en est un : fait d’écumes et de fatigue. La maladie rend fou, tu ne t’y attardes pas, car de toute façon, Onyx est à la Vallée, confortable et loin de la pagaille engendrée par ces terres devenues nouvelle cible de persécution.

Certes, c’est bien de façon détournée que t’avais laissée sous-entendre que peut-être (oui, peut-être) que ça te ferait plaisir, au fond, de le voir ailleurs que dans la pénombre perpétuelle de la Vallée. Une insinuation sans attente, car les relations politiques tendues rendaient le voyage difficile et puis. Et puis, peut-être pour l’en dissuader, pour rendre les choses difficiles, toujours plus complexes, il y avait des informations (cruciales) qui avaient été omises, comme l’adresse par exemple.

À peine as-tu le temps de passer ton chemin que tu t’arrêtes. Incertain d’avoir bien entendu, tu te retournes et le dévisages; à court de mots.

« Onyx. » Soufflé, si tôt envolé. Discrètement, tu te pinces afin de confirmer que t’es pas en train de divaguer. Mais c’est qu’il a l’air si réel que ça ne peut qu’être lui. Et pourtant, qu’est-ce qu’il fait ici? Impensable que ça soit pour toi. « La Vallée, c’est pas par ici, tu t’es perdu? »

Qu’y a-t-il a répondre sauf le silence (ponctué des vagues s’écrasant sur la rive) à ce qu’il te semble être une rhétorique ? « À toi de me le dire, » t’ajoutes après un moment lorsque la conversation (qui n’allait déjà pas très loin) semble s’éteindre comme la braise mal entretenue. T’as le regard furtif en sa direction et sans doute qu’il note la confusion légère qui s’installe qu’il mentionne ton chez toi. Et ça sort tout seul, de la spontanéité comme il s’en fait plus : « hein ? » La compréhension s’ancre lentement et il y a finalement un déclic. « Oh, par-là, » c’est pointé distraitement et, en fait, ça n’indique pas grand-chose.

« Tu ne devrais pas être ici. » Et si ça sonne de prime à bord comme un avertissement, c’est qu’en dessous, quelque part, il y a une pointe d’inquiétude. Car ‘ici’, c’était le nouveau désert, c’était place de parias (aux conditions un peu plus luxueuses, mais quand même) et qui s’y trouve se fait… ce n’était que des ouï-dire, entaché la réputation, ou pire. Mais s’il était là, c’est qu’il connaissait les risques. Onyx, toujours ce masochiste. « Soit, » t’ajoutes, secouant la tête et ne prenant pas la peine de l’en dissuader. Tu lui prends le poignet sans l’aviser du possible mal de mer (car ayant le même cristal, t’estimes qu’il est au fait), vous vous téléportez à ta résidence. D’allure plus modeste que la sienne, ça c’est sûr, mais ayant vécu la vie dans les landes arides d’Althéa, cette maison faisait l’affaire et plus encore. La bénévolence du maître n’a pas de limite, à ce qu’il paraît.

Une fois déverrouillée, tu lui tiens la porte et l’invite à pénétré à l’intérieur. Et si les attentes (de précédentes aventures) laissent sous-entendre à une vision d’horreur en termes de décorations, il n’en est pas plus loin de la réalité : épuré et moderne. « Clé en mains, » tu précises avant qu’il ne commente. « Je te sers un thé ? » Et c’est que t’attends pas vraiment sa réponse avant de te diriger vers la cuisine et de commencer la préparation. Au bout d’un moment, tu déposes une tasse (Darjeeling) devant lui avant de croiser les bras. « Alors, que me vaut la visite impromptue ? »

C’est que ce montrer un poil enthousiaste s’avérait être mortel.  

« T’es drôle, » dit sans le rire, sans la légèreté. Tu l’observes un moment avant de t’assoir à ton tour, ramenant la tasse de thé chaude vers toi avant de la porter à tes lèvres. La délicate arôme de imprègne les sens et calme l’anxiété. « Je prends donc note de renforcer la sécurité. » Le ton est à la blague auquel y est toujours attaché une pointe de sérieux. Dans les faits, il y avait quelque chose d’amusant à sa déclaration, quelque chose qui vient casser la monotonie du confort de la Baie. « Pas que tu sois un très bon stalkeur, cela dit, » tu ajoutes, faisant référence qu’il s’était perdu en chemin.

Et puis, si ça sous-entendait plus de visites impromptues du bel astre, alors pourquoi pas. Officieusement, t’allais pas t’en plaindre ; officiellement, ça c’était une autre histoire. Et tu ne peux t’empêcher, lorsqu’Onyx le souligne, de jouer à l’innocent.

« Ah bon ? J’ai aucune idée de ce que tu me parles. » Des mots noyés sous une seconde gorgée de thé, et une fois la tasse reposée, tes yeux le suivent jusqu’à la fenêtre. « La vue te plait ? » Ça devait faire différent ; la mer, la plage et le ciel à découvert. Sans doute était-ce une mauvaise idée, mais la sérénité du moment faisait en sorte que c’était plus facile d’y faire la proposition : « tu, eh… comptes rester longtemps ? » fidèle à toi-même, c’est difficile de se montrer totalement honnête ; d’exprimer les envies alors qu’au fond tes pas trop certain de ce que tu veux. Il y a moult sous-entendu, évidement, mais Onyx peut sûrement en comprendre le principal : ‘tu restes pour la nuit ?’ et tant qu’à y être, pourquoi pas des vacances. Outre le la manque de sincérité, le risque qu’il prend t’en empêche.

« Ça te va si on va dehors ? »   

Bien que ponctué d’un sourire, ça sonne creux comme un reproche. Enfin, peut-être que tu te l’imagine car tu sais qu’il n’est pas comme ça. Qu’Onyx n’est pas comme ça, que contrairement à toi, il est limpide. Mais c’est que tu ne peux t’empêcher d’y attacher un subtext négatif.  Et c’est que tu ris jaune, le début d’une note que tu t’empresses de noyer avec le thé.  

« Alors j’imagine que tu peux rester, » tu dis, déposant la tasse sur la table et lui jetant un regard à la dérobé. De la place ? Il n’y avait que ça. C’était différent, ça rappelait la vie à la surface, c’était confortable et loin des conditions du désert. Mais c’était aussi vide, très vide et trop grand. Et maintenant, la normalité était un luxe difficile à apprivoiser. « Parce qu’il y a de la place. »

Puis, tu te lèves allant déposer la tasse maintenant vide dans levier avant de te retourner et te diriger vers la porte, l’invitant à te suivre. « Plein de trucs. » Et c’était là une réponse bien décevante, mais la Baie était ce genre d’endroit où les mots ne suffisent pas, il faut voir de ses propres yeux pour y croire tant que, tout comme sa création, c’est irréel. C’est en tournant la clé dans la serrure que tu te décides d’y donner une réponse ayant un peu plus de sens.

« C’est chaotique et- » finalement, ça ne fait pas plus de sens, car c’est sur une critique sociale que tu te lançais avant de retenir le tout. « Ça a son charme, » que tu rattrapes avant de rencontrer son regard. « Un peu comme toi en fait- ah, sauf que t’es pas chaotique, tu es... » Et si Onyx attendait la suite, elle ne vient pas, plutôt, tes yeux se posent sur l’horizon et tu te mets à marcher en direction des quais dorés. « Envie de voir le plus gros nonsense de l’île ? » Que tu lui dis, sourire en coin. À vrai dire, outre que tu étais un très mauvais guide, tu avais aucune idée de ses intérêts, sauf aider les âmes en peine. « Ou peut-être préférais-tu autre chose… ? » Tu t’arrêtes, le regardes. « Outre les rencards avec des étrangers, tu as d’autre hobby ? »

« Tu sais quoi ? » t’annonces lorsque son rire semble s’estomper. « Je n’ai pas envie de te le dire. » Les mains se joignent, reposent derrière ta tête et tu te remets à marcher sans y adresser un regard à la taquinerie égale à la sienne. C’est que ç’avait été dit sur un ton boudeur, presque exagéré pour la situation et un brin enfantin. Ça arrive, parfois, de se laisser aller et Onyx rend le tout facile, mais si au fond, ça serait mieux que ça demeure difficile. Comme il s’en doute sûrement, le sujet change, s’oriente sur une critique sociale que tu n’as -ironiquement- pu retenir.

Tu te retournes. Marchant à reculons, tu l’observes. « Ah ouais, et ça implique le tricot ? » Une pique que tu ne peux t’empêcher d’émettre ; une référence directe à ses goûts douteux. Mais ses hobbies lui collent et t’es, au final, pas très surpris lorsqu’il mentionne aimer acheter des fleurs : c’était un bouquet qu’il avait lorsque vous vous étiez rencontré pour la première fois. « Peindre ? Vraiment ? Et tu ne sais pas reconnaître le talent d’autrui ? » Exagérément, dramatiquement, tu secoues la tête avant de reprendre, plus doucement : « j’aimerais bien voir tes œuvres, un jour. »

Évidement, Onyx retourne la question.
Et il te faut un moment pour y penser : le mode de vie du désert, mixé à ta nature workaholique laissaient peu de place pour des hobbies. Mais maintenant que tu es à la Baie, c’est une tout autre chose. Alors avec une facilité à laquelle Onyx ne s’attendait peut-être pas, tu réponds :

« Lire… J’aime lire, collectionner le thé et euhm, maintenant que j’ai l’opportunité, peut-être me remettre à la moto. » Narquois, ton regard rencontre le sien. « Donc, je veux cette liste sur mon bureau, avant midi. »

Bientôt, les quais pointent à l’horizon.
Tu l’entraînes sur le port, dégotes des billets pour la prochaine croisière faisant le tour de l’île.

« C’est sympa, la téléportation, mais rien ne vaut un haut le cœur naturel. » Puis tu lui indiques la file. « Après toi. »