« J’en serai le juge, après tout, qui a meilleur goût que moi, hm ? » que tu déclares, confiant de pouvoir évaluer son talent à sa juste valeur. C’est que ça ne servait à rien de revenir sur le sujet de la phrase abandonné : t’aurais pensé qu’il insiste, enfin… qu’il insiste plus qu’il ne l’a fait. Sauf que tu as appris, et t’apprends encore, qu’il est comme ça Onyx : incapable de forcer, ou de te forcer, un peu comme s’il faisait attention et que te brusquer s’avérait fatale. T’avais beau blaguer sur son masochisme, mais au fond, c’était peut-être toi le masochiste. Mais c’est aussi, à force que faire tout à moitié, il va peut-être se lasser, même si pour le moment, il fait preuve d’une patience que tu ne saurais lui rendre.

Onyx et ses visions de grandeur t’arrachent un rire et tu ne peux t’empêcher, teinté d’une fausse exaspération, de secouer la tête. « Wow, déjà, commence par une écharpe. » Quoique que t’étais pas certain que ce soit utile, vu la température du pays. Et c’est pas comme si tu pouvais aller librement à Célestia. Mais, somme toute, Onyx avait raison : ça serait con de ne pas profiter de la Baie et de ses plages. « Parce que toi, t’es en train de me dire que tu as apporté ton maillot ? » Et t’hausse un sourcil, sceptique qu’il ait vu si loin dans ses plans de visite… de vacances ?

« Si t’es gentil, je te laisserais peut-être la monter. » T’as le sourire en coin, l’espièglerie dans le regard. Et quelque part, l’image de la proximité, de rapprochement sous le couvert de la sécurité. Mais eh, c’était encore un projet en cours, et avec l’instabilité de la maladie…

C’est léger, tout en taquinerie et t’es pas certain de combien de temps ça va durer ; tu t’efforces de d’apprécier le moment présent. « Ah ouais, un vrai maso, » tu lâches à la suite de son commentaire sur le mal de mer. Onyx parle d’une époque révolue, teinte l’air de nostalgie. Tu t’affaisses contre le garde-corps alors qu’on remonte la rampe et que le bateau se met à voguer. C’est que tu partages le sentiment : être insouciant, partir à l’aventure et revenir à la normalité. « Hm-hm, » t’acquises, et soupires. « Mais il n’y a pas de point à faire ça seul. » Puis, le désert et ses restrictions dissuadaient. Une fois celles-ci levées, parce qu’apparemment, l’ascension de Victoire en tant que wannabe-reine du désert, donnait maintenant le droit d’être traité comme des humains, t’avais choisie de te pousser la Baie.

« Tu voyageais souvent avec Célestin ? »

C’est vrai, il est toujours gentil, mais tu ne peux t’empêcher de riposter, d’avoir le dernier mot, ou plutôt le dernier son : « pfft » et de rouler des yeux exagérément. Malgré l’attitude dédaigneuse, t’y vois là une promesse silencieuse. Toujours appuyé contre la rambarde, menton contre la paume de ta main, t’observes les vagues venant s’écraser contre la coque du navire. Tu ne savais pas ce que tu cherchais, à lui poser cette question et surtout à ramener son ex. Et si ça l’eut dérangé, fidèle à lui-même, Onyx ne laissa rien paraître.

« Ah. » Lourd de plusieurs sens. Finalement, t’aurais jamais dû demander. Parce que bien évidement, Onyx a cette façon déconcertante de parler du passé, comme un chapitre que l’on termine avant de passer à la prochaine page. Et ça irrite, car tu ne peux en faire autant; pourras jamais en faire autant. Tu soupires, ravalant l’envie effervescente de confrontation causée par ce que t’interprètes comme de la nonchalance. Un ressenti teinté par la transcendance ou simplement le cynisme? T’en sais rien, mais t’as certainement pas envie de causer une scène.

« Ça ne m’aurait pas dérangé. De visiter Althéa avec toi. »

C’était en surface, jamais en profondeur. Mais voilà qu’il y avait l’émergence de la Baie et de ses restrictions. Le bateau se met à tanguer et à l’intercom, on annonce des turbulences causées par une famille de dauphin qu’on tente d’éviter. C’est que tu ne t’y étais pas attendu : tu perds pied et tentes de t’accrocher, agrippant le support le plus proche. Il se trouve que c’est Onyx. Lorsque tu réalises, c’est la panique et ce que tu tentais d’éviter arriver : tu tombes. Et en plus, tu l’entraînes dans ta chute.

Qu’est-ce qu’un cliché, au fond? Une question absurde naissant d’une situation tout aussi absurde, tu contemples, sandwiché entre le plancher ciré du navire et Onyx. Si le premier réflexe avait été de se relever et de s’excuser de l’avoir entraîné dans cette chute, il en est rien. Non, au contraire, tu ne bouges pas, restes au sol à admirer la vue et, sans le dire trop fort, à te perdre dans la constellation de ses yeux. Il est décourageant et t’es presque déçu qu’il ait amorti la chute, retirant toutes chances de perdre connaissance. Et même si le sentiment est partagé -et t’en es ravi- tu ne te permets pas de le montrer, préférant plutôt le rebuter, changeant le sujet comme le bateau change maintenant de trajectoire.

« T’es lourd. »  C’est à cause de la répartie, de ce besoin contradictoire de maintenir une certaine distance que tu ne remarques -ou plutôt fait semblant de- ne pas remarquer sa main migrant discrètement, mais pas subtilement de la tête au visage. Ça fait frissonner : la délicatesse de ses doigts contre ta joue et c’est probablement parce que t’es starved en contact physique que tu jures que c’est la chose la plus sensuelle qui te soit arrivée depuis les dernières semaines, voir mois.

Et Onyx, toujours aussi frustrant dans sa façon d’être, dans cette façon si honnête d’être, voit l’opportunité et la saisie. N’en démords plus comme un chien et sa gâterie. Et comme le contact de ses doigts, ça fait frissonner. Un amalgame de frustration, d’anxiété, et si on creuse, creuse vraiment profondément, il y a peut-être de la joie, mais plus que tout, il y a la peur.

C’est la solennité du moment qui perturbe le souffle et clôt les mots.

Onyx demande et t’es soulagé; confronté au fait accompli, tu sais pas ce que t’aurais fait.

Onyx demande et t’es frustré; confronté au poids de la responsabilité, tu ne sais pas quoi répond.

Sûrement qu’il le remarque, car il faut dire, le regard déviant et les tremblantes sont de bons indicateurs. Ah, c’est que c’est différent d’un plan cul. Dire oui, c’est confirmer qu’il y a quelque chose de plus, et ça…

Les lèvres se closent, le regard se fait dur et tu te téléportes.