Tu dois rapidement avouer que le groupe éclectique qui se tient derrière toi t’étonnes. Individuellement, tu ne craignais pas d’avoir affaire à des amateurs, tu en sais assez pour ne pas sous-estimer leurs capacités. C’est la meilleure discipline que tu n’osais pas espérer trouver chez eux dont ils et elles font alors preuve. Bien qu’on puisse sentir la rage sourde qui s’échappe d’eux comme la chaleur qui fait danser l’air au-dessus du sable, tous sont restés en silence. Aucune voix ne s’élève pour mettre en doute le rôle que tu t’es toi-même octroyé. Loin de toi l’idée de jubiler à un moment aussi critique, alors qu’Andy est toujours enchaînée au pied d’un monstre de la pire espèce, mais le silence des rebelles te porte mieux que leurs cris.

De leur support maîtrisé, tu as tout de suite besoin, lorsque le Leader décide de profiter du peu de pouvoir qu’il a encore sur toi. Il prend son temps pour s’éparpiller en louanges sardoniques. Tu ne le quittes pas des yeux, si bien que tu sens l’air chaud du désert menacer ta cornée.

Il t’attaque par ta plus grande faiblesse. Tu t’y attendais, mais ça ne t’empêche pas de serrer les dents. Tu n’as dit à personne ce qu’il en a coûté d’organiser la libération d’Andy. C’est elle qui l’attrape pour en faire un grotesque pantin à travers lequel il entend te ridiculiser. Tu sens tes muscles se tendre. Un des larbins fait écho à la voix mécanique qui te nargue. Tu aurais envie de sauter te battre. Mais tu ne le peux.

Tu te souviens de cette nuit, celle où tu avais cru abandonner, où tu as failli refuser de laisser un enfant de plus partir avec l’émissaire du Leader. Cette nuit-là, tu avais serré dans ta main la lame de ta dague avec toute la violence que t’inspirais ton ennemi. La douleur t’avais fait l’effet d’une douche glacée. Elle avait rendu la clarté à ton esprit. Tu y repenses jusqu’à ce que ton corps se relâche. Tu inspires.

Tu n’as pas l’intention de laisser le Leader t’arracher le contrôle de cette rencontre. Reste à savoir si le reste des révolutionnaires se tiendra à carreau ou décidera d’entrer dans le jeu de leur adversaire. C’est sur Kiana que ce dernier arrête son choix, pour des raisons que tu aimerais bien deviner dans le masque lisse du Leader. À ce moment, Kiana a le pouvoir de te couper l’herbe sous le pied. Tu pries pour qu’elle fasse le bon choix. Tu ne regardes pas vers elle, tu ne veux donner aucun signe de faiblesse à celui qui aimerait te faire tôt dès le début des pourparlers.

Mais tu n’as pas le choix de lâcher le bourreau d’Andy des yeux quand tu sens Kiana te dépasser. Tu la suis des yeux, une pointe d’inquiétude surprise dans le masque impassible que tu t’efforçais de maintenir. Même infirme, elle va trop vite pour que quelqu’un puisse la retenir. Tu as soudainement peur qu’elle mette le feu aux barricades.

Elle se contient. À peine. Juste assez. Tu recommences à être surpris par la force de celles et ceux que tu n’avais observés que de loin. Kiana n’a pas mordu au leurre alléchant qu’avait fait danser le Leader devant leurs yeux. Tu ne sais si les autres l’ont imitée, mais tu as la chance de rester dans l’arène.

Tu t’apprêtes à avancer quand tu entends le croassement de la voix brisée d’Andy. Sa voix te saisit en plein ventre. Pauvre Andy, répète un des sbires du Leader, celui qui joue le rôle du perroquet sur l’épaule du pirate d’opérette. Ignore-la. Ne t’avise pas un instant de la regarder. Rappelles-toi la froideur de la lame dans ta main. Tu es cette lame. Tu reprends ton avancée pour te rendre derrière Kiana.

« Il ne lui arrivera rien », tu assures à l’insolent sbire masqué avant de ramener ton attention vers le  Leader. C’est de ton meilleur ton de prédicateur que tu l’admonestes: « Je comprends que tu craignes de m’affronter de nouveau. Crois-tu qu’il suffira de cracher ton habituel venin pour nous confondre ? »

Tes yeux brûlants retrouvent le miroir sur la surface du masque. Tu parles comme on parle à un démon qu’on exorcise.

« Rends-moi ce que tu me dois avant de retourner vers je ne sais quel enfer hors duquel tu as rampé, serpent. »