— l'amour bave sous les étoiles

C'est un crépuscule doux d'avril qui tombe doucement sur la chaumière de Gégé. Assis dans son grand jardin, il contemple ses quatre chiens en train de chahuter dans l'herbe. Ils sont bien loin de tout les tracas des humains ces quatre là. Sur les genoux du fermier, une masse de poils ronronne paisiblement. La paume calleuse de l'ouvrier se pose sur la tête du chaton, dernier membre de la meute, et vient gratter l'arrière des oreilles du félin. Il soupire. S'il apprécie particulièrement la présence de ce petit chat tacheté, ce dernier lui fait encore cruellement penser à Meish.
Après la Chute, Gégé pensait ne pouvoir jamais pu être affecté par la mort même soudaine, mais les images des derniers instants de Meish sont restées gravées dans sa mémoire comme une ombre disgracieuse et inquiétant planant sur la tranquillité de son quotidien. Après leur partie de pêche au lac, là ils ont tout deux trouvé le chat, Gégé avait confié l'animal à un voisin par crainte que les chiens ne s'entendent pas avec. Mais après la tragédie du désert, Gégé s'en était allé récupérer le chaton, culpabilisant de l'avoir abandonné une seconde fois et sûrement désireux de s'accrocher à tout ce qui lui restait de l'étudiant allemand. Le chat a été baptisé Andromeda, en hommage aux étoiles, et si la cohabitation avec les canidés est parfois périlleuse, les toutous semblent bien s'acclimater à son arrivée.
En ce sens, difficile de refuser la requête de cette dénommée Poppy venue rencontrer Mac ou peut-être Brody. Plus que les objets, les animaux portent sur eux le souvenir et Gégé serait bien rustre de refuser de céder à une jeune fille une des seules choses qui doit encore lui rester de la surface. Même s'il sait que le labrador va cruellement lui manquer.

Soudain, voici que Columbus se met à aboyer, faisant sursauter Andromeda qui s'échappe et file se cacher dans un buisson. Les quatre chiens se mettent à courir vers les palissades en bois qui bordent le jardin et sautent sur place, ayant sûrement flairé une odeur qu'ils ne connaissent pas :

▬ Allons, allons que se passe-t-il ? Bougonne-t-il en se relevant et ramassant la balle encore baveuse que Mac vient d'abandonner. Le fermier siffle pour attirer leur attention et jette la baballe plus loin. Seul Hard Rock le spitz nain et Costa le beagle s'en vont courir après, Columbus et Mac s'étant tout deux agglutinés au portique en aboyant. Lorsque la chevelure rousse d'une jeune femme émerge derrière le portique, Gégé comprend la raison de leur agitation.

▬ Ah bonsoir ! Oui je suis Germain, mais vous pouvez m'appeler Gégé. Entrez, entrez. S'exclame-t-il en poussant les deux chiens qui trépignent d'excitation, Mac étant particulièrement agité, pour ouvrir à Poppy.

Il attrape le samoyède par le col pour l'empêcher de se jeter sur la demoiselle et s'apprête à en faire de même avec le labrador mais celui-ci est trop rapide et bondit sur Poppy pour lui lécher les mains et le visage en couinant comme jamais Gégé ne l'a vu faire auparavant.

▬ Hé bien, hé bien, je crois qu'il n'y a pas besoin de faire les présentations. Qu'il lâche avec un sourire aussi triste qu'attendri puisque la réaction du chien ne trompe pas : il s'agit probablement du bon labrador. Au moins Poppy n'aura pas fait tout ce trajet pour rien. Il referme la grille derrière lui et lâche Columbus qui sautille autour des deux, désireuse de se mêler à la fête :

▬ Merci d'avoir fait le déplacement. Vous voulez quelque chose à boire peut-être ?

Caché dans son fourré, Andromeda les observe avec des yeux brillants.

— l'amour bave sous les étoiles

Même Columbus semble être impressionnée par la démonstration de joie de son confrère à quatre pattes et finit par se reculer pour laisser la rousse et le labrador se saluer à leur façon. Gégé se garde bien également d'interrompre ce dialogue intime entre un chien et son maître et reste en retrait jusqu'à ce que Mac ou Brody daigne la laisser répondre. Il tire une des chaises en fer forgée sur la terrasse et l'invite à s'asseoir avant de s'avancer vers la porte qui mène à la cuisine.

▬ Oh il est très amical mais je ne l'ai jamais vu aussi excité, même pour des friandises. Qu'il répond, toujours en souriant. Andromeda file entre ses jambes se réfugier à l'intérieur lorsqu'il ouvre la porte en continuant : Je ne sais pas s'il avait un collier. En tout cas il ne lui restait plus rien quand je l'ai récupéré. Un collègue l'a trouvé en train d'errer sur la route il y a bien... 4 ans et demi je crois. Vu sa maigreur, j'imagine que cela faisait des mois qu'il vagabondait.

Il disparait à l'intérieur puis revient rapidement avec un verre d'eau et un cendrier qu'il pose tout deux sur la table en bois avant de s'asseoir. Les chiens tournent autour de Poppy, reniflant avec curiosité les vêtements et le sac de celle-ci mais le labrador continue de rester près d'elle, la queue battante et le regard débordant d'amour.

▬ La route n'a pas été trop longue j'espère ? Et vous êtes sûre de ne vouloir qu'un verre d'eau ? J'ai déjà dîné mais j'ai encore des restes. En toisant la jeune femme, Gégé ne peut s'empêcher de se demander par quelle drôle de mésaventure elle a été amenée à croiser cette pile électrique de Moebius. Une de ses clientes peut-être ? Il sort son briquet et son paquet de clopes de sa poche et continue : Cela vous dérange si je fume ?

D'ailleurs cela fait longtemps qu'il n'a pas eu de nouvelles de l'oublié. Il faudra qu'il pense à lui envoyer un message tiens.

— l'amour bave sous les étoiles

Factrice ? Gégé s'étonne de constater que ce métier existe encore surtout dans un royaume ultra technologique tel que Célestia où les pixels des hologrammes et des SMs ont remplacé le papier des lettres. Sans doute doit-elle livrer des colis aussi en plus des courriers des quelques irréductibles qui s'obstinent encore à écrire à la main. En soit c'est assez rassurant de constater que certaines choses ne se perdent pas. C'est un beau métier factrice... Tout comme Moebius elle a du en voir du pays.

▬ Très bien. Il a demandé par politesse mais n'a plus l'habitude qu'on lui dise non. Les bêtes et les confrères fermiers se fichent un peu de la fumée de ses cigarettes mais il faut convenir que ce n'est pas le cas de tout le monde. Rangeant son paquet et son briquet dans sa poche, il suit du coin de l'oeil la balle que Poppy jette au loin au grand plaisir des chiens qui courent après, tout joyeux d'avoir trouvé une nouvelle compagne de jeux. Ils sont loins de se douter qu'il leur faudra bientôt se dire adieu. Oui je suppose qu'ils ne sont pas à plaindre. Je les ai tous adoptés après mon arrivée ici. J'avais un chien à New-York mais je ne pense pas qu'il soit encore en vie. Gégé n'a jamais retrouvé son pauvre bougre de Shiba. Il faut dire, il n'était même pas chez lui au moment de l'effondrement. Et vu ce qu'il se passe sur Terre, Gégé ne peut espérer que Kon soit mort lors du Kamikakushi plutôt qu'en train de crever de faim sur le bord d'une route à fuir des Transcendés. À vrai dire il ne l'a jamais vraiment cherché. Il s'est toujours naturellement dit que comme tout le reste de sa famille, le toutou n'a pas survécu et un point c'est tout. C'est pourquoi, il veut rassurer la rousse : Tout ce qui compte c'est que Brody va bien maintenant. Et puis vous voici maintenant tout deux réunis alors ne vous en voulez pas. Je suis sûr qu'il vous a cherché aussi. En tout cas il a l'air content de vous revoir. Pour sûr, il est en train de se chamailler avec Columbus et Costa pour être le premier à ramener la baballe et réussit à les devancer tout les deux pour déposer, triomphant, le jouet couvert de bave aux pieds de Poppy.

Gégé ne peut s'empêcher de se demander pourquoi est-ce qu'elle parle d'elle-même à la troisième personne mais en somme il trouve ça mignon et décide de ne pas s'attarder là-dessus.

▬ Il me reste du cake aux légumes et de la tarte aux pommes si vous voulez. Pas de riz au lait ce soir malheureusement. En fait Gégé n'a pas pensé à en faire tout simplement. Sa main se pose sur la tête de Columbus en train de sautiller à ses côtés pour de l'attention. Vous n'avez pas froid j'espère ? On peut passer à l'intérieur si vous préférez. S'il ne peut pas fumer, il n'y a pas de raison particulière à ce qu'ils restent dehors. Enfin j'imagine que le climat des Sylvestres est beaucoup plus clément que celui de Célestia ! Moebius m'a dit que vous étiez de Polaris c'est bien ça ?

Il n'y est jamais allé. Est-ce qu'il y a au moins des maisons avec des jardins dans la mégalopole de Tatsuya ?

— l'amour bave sous les étoiles

Les grands monts neigeux de Polaris ne sont encore que des chimères dans l'imaginaire de Gégé. Il aimerait beaucoup visiter cette région glaciale, pleine de neige et de merveilles technologiques, juste pour juger de ses propres yeux si ce paradis futuriste justifie l'appétit monstre d'Alexander qui rêverait de mettre la main dessus. Le fermier ne s'étonne pas de la remarque de Poppy, ils sont nombreux à le qualifier de différent. Dès fois il se demande si son bon roi ne s'est pas trompé au moment des recrutements. Il aurait probablement été mieux adapté à la Vallée et ses étoiles mais l'amour qu'il porte aux chiens et aux sylvestres l'empêche de considérer tout projet de déménagement. Même pour voyager, il arrive à peine à se dégager du temps.

▬ Je travaille à la ferme dans l'exploitation d'à côté. Et non ça va, j'aime le silence des arbres et l'amour de mes chiens me suffit amplement comme compagnie. Ah il se trouve vieux et ringard dans cette réponse mais tant pis. C'est son flegme qui le différencie, cette espèce d'absence d'ambitions ravageuses qui hantent les habitants de sa patrie. Attendez un instant, je reviens.

À nouveau il se lève et disparait à l'intérieur. Il retrouve Andromeda perché près d'une fenêtre et le laisse à sa contemplation timide de la scène en train de se dérouler dans le jardin pour se diriger vers le frigo, se hâtant de préparer une assiette de deux parts de cake salé pour son invitée tout en sortant la tarte aux pommes, ainsi que des couverts. Le fermier retrouve bien vite la demoiselle et pose tout devant elle, non sans écarter Mac, enfin Brody, d'une tape sur le museau quand il le voit tenter de mettre ses deux pattes sur la table pour renifler ce dîner qu'il aimerait bien lui aussi goûter.

▬ Et voici ! Bon par contre, vous voyez que je n'ai jamais réussi à lui ôter cette sale manie qu'il a d'essayer de chaparder de la nourriture dès qu'il en voit. Commente-t-il en adressant un regard réprobateur au labrador quand bien même celui-ci ne semble même pas le remarquer, oubliant vite cette réprimande pour reporter toute son attention sur son ancienne maîtresse, espérant sans doute qu'elle lui concédera un bout ou deux. Je les nourris principalement avec un mélange de viande, céréales et légumes mais rarement aux croquettes. Il a bien des sachets de réserve au cas où mais quelle tristesse de ne pas faire profiter à ses chiens des restes pourtant consommables de l'abattoir !

Le caerien se rassoit et croise les jambes.

▬ Et vous ? Le stress de la ville ne vous épuise pas ?

C'est si tranquille ici. Dans le havre douillet des chiens et des clairières, on on a vite fait d'oublier le brouhaha des cités.
Il espère que les champs et les forêts de Caer ne manqueront pas trop à Brody. Oh au moins le cabot pourra découvrir la neige...

— l'amour bave sous les étoiles

Discrètement, Gégé scrute la rousse en train de goûter, enfin de dévorer, le dîner qu'il vient de lui apporter. En la voyant engloutir son plat à la même vitesse que son labrador à l'heure de la pâtée, c'est une lueur de fierté qui s'allume sur le visage du caerien. Il tire toujours une immense satisfaction de voir les gens se régaler grâce à sa cuisine. Ce qui est tout de même ironique pour quelqu'un qui vit seul au milieu de nulle part.
Il sourit aux propos de Poppy sur la vie citadine. Elle a raison. Pourquoi se cacher au fin fond des bois comme lui quand elle déborde d'énergie et de jeunesse ? Sa tête se baisse pour observer Brody-Mac qui ne se soucie pas du refus de la polarienne et reste à ses côtés avec son regard le plus triste de chien comédien. Sacré acteur. Même ce petit numéro qu'il lui exécute à chacun de ses repas va lui manquer. Enfin, plus il dévisage Poppy, plus il est intimement persuadé n'avoir rien à craindre pour le bonheur du toutou.

Et puis soudainement, Poppy s'interrompt, ramasse la balle et la lance encore une fois au loin. Toute la meute, y compris Hard Rock cette fois-ci, s'élance derrière le jouet décidément bien plus accessible que le cake ou la tarte. Elle semble soudainement grave quand elle s'excuse et lui présente sa décision de laisser le labrador avec ses confrères et consoeurs à quatre pattes. Gégé est surpris. Agréablement. Mais par respect, il s'interdit de manifester trop de joie, juste un soupir de soulagement. C'est probablement dur pour elle. Retrouver son meilleur ami canin pour mieux le laisser partir. Il l'admire.

▬ Ne vous excusez pas, je suis juste heureux qu'il ait pu retrouver sa maîtresse. Il se penche au dessus du plat à tarte et se sert une part tout en continuant : Je ne vous cache pas que je suis rassuré de ne pas avoir à lui dire au revoir. Ses yeux suivent les chiens en train de rouler dans l'herbe en couinant, se chamaillant la balle. Ils sont bien loins de se douter qu'on est en train de parler d'eux. Et bien entendu, je serais enchanté de le garder ici. Vous faîtes le bon choix, Mac ou Brody sera bien plus heureux en plein air avec ses amis que tout seul dans un petit appartement. Mais ça reste votre chien après tout, il en va de soi que vous serez toujours la bienvenue ici. Entre deux bouchées de tarte aux pommes, le fermier affiche un sourire plein de reconnaissance : Les chiens et moi sommes toujours contents d'avoir un peu de compagnie. Et puis comme ça vous aurez un pied à terre loin de la frénésie de Polaris.

C'est sincère. Il faut dire que s'il adore ses protégés poilus, ces derniers ne sont pas extrêmement doués pour lui faire la conversation.

▬ Ma maison n'est pas très grande mais vous pourrez même dormir ici si cela vous chante. Notre ami commun Moebius n'a pas eu l'air de se plaindre du confort de mes draps !

Même Gégé cherche le contact humain de temps à autres.