L’après-midi ensommeillée de soleil
L’après midi comme le déclin du zénith qu’il déteste tant, où la foule se baigne dans les rayons déclinant.

A Caer l’ambiance était toujours à la liesse même dans les mouvements endormis des attroupements de familles, d’amis ou de solitaires.
De passants sans visages.
Un peu comme lui.

Lui allait souvent sans but à travers les rues, comme ces oiseaux de passage qui jamais ne s’arrêtent, accrochant ses yeux à chaque visages, chaque reflets colorés dans les vitrines. La tête vide mais les globes gorgés d’images dans une procession silencieuse et oisive, un pèlerinage dans des rues qu’il avait cent fois foulé, une errance sans but dont il aimait toujours plus la volatilité.

Pourtant, perdu dans la contemplation d’une vitrine baignée de soleil voilà qu’il sent l’humidité sur son visage
relevant les yeux il ne voit pourtant pas un nuage et les baisse jusqu’à se faire face dans le reflet hyalin de la vitre racoleuse.
C’est de lui que viennent les salines ?
Lui n’avait plus pleuré depuis longtemps, surement réfléchissant alors l’image volée d’une vierge déchirée par les sanglots, portant la chair de son fils à bouts de bras.
Lui n’avait plus pleuré depuis ses premiers tombeaux ouverts
contemplant les faces mortes et pourries qu’il n'avait plus qu’à dépouiller,
lui et sa troupe de charogne.

Il contemple un instant cet accès de larmes sans queue ni-tête dans ce reflet chancelant tout en transparence.
Puis du coin de l’oeil il voit
le reflet de l’objectif brillant dans la foule
La silhouette filante

Serrant les dents dans un sourire larmoyant il pourrait presque rire. Quelle ironie pour lui que de poursuivre un voleur d’image

Mais ce dernier ne sait pas qu’il est pris au piège dans l’ombre de l’après-midi
Car il se croit sauf en son sein ?
Car il se croit grand, ainsi dissimulé dans les ombres ?
Quand Orazio n’a qu’à leur tendre la main pour les embrasser

Ces douces ombres de l’après midi qui s’étirent comme au supplice du chevalet.

Il lui suffit de rejoindre la foule
et de se laisser porter par les ombres des passants
Dans la courbure d’un cou inondé de soleil, d’un bras qui se lève pour saisir la main d’un autre
Dans le creux d’un dos
Dans la silhouette d’une robe claquant sur les mollets

Et finalement dans ton ombre à toi aussi
celle-là cousue à tes pieds.
Cette chienne là qui te suis fidèlement léchant le moindre de tes pas.

Il lui suffit de lâcher leur mains pour sortir de ta propre ombre, de ta silhouette d’enfant.

Dans l’ombre de l’après-midi, dans un souffle qu’il reprend, il étend ses serres dans la chair tendre de la gorge.
Pauvre petit voleur
La main tiède dans son cou, une posture lâche qu’un passant mal avisé prendrait pour de l’affection
les doigts tendres contre le peau comme une caresse
pourtant
Le pouce et le majeur crispé dans la jugulaire pulsant comme un coeur. Il le sent, ce coeur d’oiseau criant contre la pulpe de ses doigts.

« Marchons un peu veux-tu ? Tu as quelque chose qui m’appartient je crois. » Souffle t-il dans dans une sourire pâle aux yeux encore rougis tandis qu’il serre un peu plus ses doigts, intimant au cou comme à une marionnette un geste vers l’avant.

Il n’a pas séché les larmes qui lui glissent sur les lèvres et qui lui mouillent la bouche d’un goût de sel.

Oh la vilaine trogne parée d’un sourire
Oh le visage poupin tout en cils battus d’innocence et joues pâles à peine fouettées par le vent.
Quel adorable portrait au sourire hâve comme il en connaissait tant.

Il voit dans le creux de son oeil, il voit bien qu’il a entre ses doigts un oisillon bien semblable à lui. Tout en sourire tiède qui donnent l’impression qu’il rit.

Sale, sale, sale petit voleur de portrait d’homme sans visages. De ceux qui veulent rester tapis dans l’ombre sans un mot. De ces paranoïaques du celluloïd. En y touchant ne savait t’il pas qu’il risquait de se faire mordre les doigts ?

Alors il rit, un son pâle dans la gorge. Il rit les joues pleines de sel tant et si bien qu’on aurait pu croire qu’il avait rit aux larmes.
Pourtant c’est à peine un son qui agite son torse
c’est à peine un murmure entre ses lèvres.

Ils marchent et il mène son manège à la baguette, souriant de ses plus beaux sourires à cette tête brune et brulée, guidant leurs pas jusqu’à une alcôve là dehors de la foule.
entre deux rues baignées dans l’ombre de l’après midi.

« Ah ? Tu devrais mettre un peu plus de conviction quand tu joues les innocents, ce n’est pas comme ça qu’on vole. » Le pouce et le majeur se contentent de s’enfoncer dans la chair tendre à la recherche du nerf, d’une légère pression. D’une légère flexion.
Il aura certainement laissé une trace tout en camaïeux de bleus et de rouges.

Mais Orazio à les mains habiles,
Les mains douces comme des caresses
Des mains de voleurs qui n’affolent pas le vent.

Du cou, elles se glissent dans la sangle de l’appareil photo, oh il ne leur faut qu’un agile mouvement pour le décrocher, il aurait encore la chaleur du torse contre lequel il était appuyé.

« Tu m’excuseras, tu as un otage, j’ai le mien. »

D’une main il tient l’appareil, au bout d’un bras tendu et raide.
De l’autre il attrape les joues pâles de son petit oiseau, prenant garde aux coups de bec. Ses doigts s’étendent contre sa peau alors qu’il lui plaque la tête au mur.
Ici caché dans leur alcôve.

« Et si tu me montrais ces paysages auxquels tu tiens tant ? » Il glisse son index contre sa pommette comme pour en tracer les contours, dans une tendresse qui est sienne. Il n’est pas homme méchant et ne lui veut pas de mal.
Si le petit oisillon se fait prendre c'est qu'il veut jouer.
Car ce reflet dans cet oeil
Ce reflet il le connait
pour l’avoir contemplé souvent
Dans les miroir à l'aurore
Dans le papier glacé
Dans la pupille réfléchissante de ses amant•es
Dans la réflection des dorures
Dans l'eau de la mer
Dans le vin
Dans le reflet des vitrines.

Une oeuvre se touche avec les yeux ?
Cette petite phrase lui donne envie de rire
Orazio a les mains baladeuses.
Les mains voleuses
Lui a déjà souillé tant de toiles saintes du bout de ses doigts apostats
Laissé courir ses ongles sur les dorures
Dans les points de fuite et les bords de cadre

Mais il rira moins d’ici un instant. Pour rire encore plus peut être ?

Il observe la main du garçon, glissant de sa gorge jusqu’à son complet, là contre le torse sont biens gardés ses méfaits.  Mais quand le papier glacé se dévoile à ses yeux il perd peut être cette attention de charogne et dégage légèrement sa serre des joues rondes et pouponnes.

Il a son reflet en horreur, comme une tache sans forme et sans frontière, un petit visage flou et triste qu’il abhorre grandement.
Mais il y a quelque chose d’une tristesse sublime dans le cliché.
Un quelque chose d’une beauté ravageuse qui transperce son oeil
il le sentirait presque saigné
comme un stigmate béant.

Transfixé il ne voit pas le coup venir.

Les dents serrée et le genou au sol,
une posture de repentant
il pourrait peut être joindre les mains, là dans l’ombre de cette alcôve
Relevant ses yeux cyanoses et sans air bordés de cils pâles.
dans l’ombre de l’après midi il pourrait prier devant cette vierge sombre qui le tient en joue
du bout d’un objectif
qui embrasse les visages damnés sur un suaire de papier brillant.

« Montres m’en d’autres. Tu en as surement d’autres, des oeuvres. Ne me montre pas, je m’ai en horreur. » Et la voix tiède semble prise d’une fièvre qui la ferait presque trembler.
Dans une oraison de peu mots qu'on n'adresse que dans le secret des églises
à l'oreille des anges.

« Mais s’il faut cela, ne t’en fais, pas je serais pliant comme tu le souhaites. »
Ce n’était pas sa première fois à genou
surement pas sa dernière.
Il avait toujours su obtenir ce qu’il voulait, tordant son corps à l’extrême.
Il n'avait encore jamais brisé.

Il fait rouler son cou et ses épaules, dans un regard de défiance, pour que cette main qui lui tient la tête relevée, comme attendant l'ostie, glisse contre sa joue encore écartelée de sel. Plus d’humidité maintenant, seulement le sillage de son méfait.
Petit voleur de soi.
Attention à ces joues petit oiseau tu pourrais t’y fendre la main, celles là sont osseuses et coupantes. Tu ne voudrais pas y apporter de couleur non, pas avec ton sang saint.

« Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés » Dans un souffle comme on recite. Dans un souffle de mémoire, d'une page de bible.

Gratia, dona Lacrimarum
comme ce don le plus précieux qu’on chante dans les quantiques. Les larmes versées à la prière.
Oh il connaissait les larmes.
Le don de larmes.
Dans toute leur transparence du bout de son pinceau il en avait paré les joues de maries-madeleines et d’autres christs
toutes d’une beauté sublimes sur leurs visages hâves et marqués par la souffrance. La douleur. La peine. Le supplice.
De belles larmes saintes.
Mais des alrmes comme ça il n'en avait jamais vues.

« Vois comme elles brillent, c’est superbe. Et leur pauvre visage. J’ai presque envie de pleurer encore. »

Chaque piéta impie se ressemble au milieu de la vallée des pleurs.Et lui qui pourtant n’aime que la peinture et ses toiles sèches, lui qui n’aime que le nacre des peau des martyr et leurs larmes de douleur, pourrait presque pleurer devant quelques photos.
Comme il pleurait sur les banc d’églises.
Alors Orazio se relève, époussette son genou, tire sur sa veste, passe une main dans ses cheveux pour retrouver cette parfaite allure de lui :
toujours tirée.
Plaquant sa blondeur d’une main sévère, l’autre il l’offre doucement, paume ouverte et doigts légèrement courbés comme au jugement dernier
comme la posture immodeste et lascive d’une statue qui tend la main à son amant•es

« Allons là où tu veux, mais s’il te plait parle moi encore de larmes. Ce n’est pas tous les jours que je croise de tels artistes. »

sourire atone et doux
mais dans l’oeil
Oh c’est un voleur volé
l’autre n’a pas volé qu’une image
Oh qu’il le prendrait dans ses bras et ferait sien cet oeil
il le chérit déjà tant.

Frissonnant sous la caresse de ce doigt
qu'il voit disparaitre entre ses lèvres.
Il l’écoute parler comme l’autre boirait ses larmes
roulantes et clinquantes sur le derme
piquante sur le bout de la langue
amère juste avant la gorge

Oh, il est si amoureux de lui-même, oh il s’aime tant on ne voit que ça à le voir parler. C’est si beau.
C’est le funeste destin des narcisses
Les maux des artistes Orazio les connait bien.
Il sont à jamais amoureux du reflet de leur âme qu’ils couchent sur n’importe quelle surface. Il n’y a pas plus belle chose que quelqu’un qui s’aime comme il le fait à présent et Orazio a envie de l’aimer aussi.

« Il a tant de beaux endroits à Caer. Des endroits qui grouillent de gens. Veux-tu en faire pleurer d’autre ? Ah tu m’as presque donné le gout des larmes. »

Il peut bien rire et se jouer de lui, se repaitre des angles soumis de ses sourires. Il peut bien jouer au roi, c’est tout ce qu’il veut. Les rois sont serviles et se sentent grands quand on les aime. Sans ça il ne sont rien.
Oh il saura l’aimer.
Il le fera se sentir monarque au creux de sa paume pour mieux la refermer, c’est en amadouant les oiseaux qu’on les mets en cage
de quelques mots doux
de quelques caresses.
Car il avait gouté au vent dans les plumes et un gout de sel larmoyant lui rappelant la mer
Et il n’allait pas le laisser filer comme ça, non.

« Je n’ai pas d’endroit favoris sinon mes appartements. Si tu aimes les larmes j’en ai de belles peintes. Dorées, brodées sur la toile. J’en ai tant je devrais songer à ouvrir une église ou une galerie »

il avait cru errer longtemps et sans but, comme dans l’ombre de cet après midi. Comme devant cette vitrine. Lui qui cherche, sans vraiment chercher, la beauté la plus pure, voilà qu’elle lui tombe dessus prête à le faire pleurer.
Non sa place n’est pas dans l’ombre
Mais dans un musée

Dans une galerie comme un coeur ou les gens viennent se perdre et pleurer devant les larmes figées.

« Mais dis moi, tu me voles presque mon coeur et je ne connais pas ton nom. Comment signer ton oeuvre et ton méfait ? »