Il y a dans ces rues, cet homme qui le cherche activement car, il le sait, on lui a volé cet objet là, celui que Mars a entre ses mains et qu'il ne peut plus lâcher, pas même pour mimer une perte malencontreuse. Oh, il est rare que l'on prenne le jeune homme la main dans le sac, oh, il est aussi rare qu'il accepte de s'enfoncer ainsi dans les rues de Caer Calabus, mais. Mais cette fois, il c'était dit que ce serait aisé, que ce ne serait qu'une part de tarte, que tout serait tellement facile qu'il serait de retour au désert en un rien de temps. Il s'était pourtant bien trompé, le pauvre petit voleur. Car le voilà à s'engouffrer dans une ruelle plus sombre, le voilà qui entend quelques cris, quelqu'un qui annonce quelle direction il a prise et puis, la course poursuite. Il a l'habitude de se faire courser par les animaux sauvages du désert, il est donc assez aisé pour lui d'avancer entre les rues (en espérant que sa victime n'ait aucun cristal de vitesse accrue pour le rattraper) en courant, en s'échappant. Il se fait petite souris entre ces rues étroites, aux dalles dépareillées qui font déraper son poursuivant. Et puis, c'est la bonne occasion.

Le voilà qui pousse une porte (arrière d'une boutique certainement), et la referme derrière lui. Pose son dos contre celle-ci et ferme les yeux un instant pour écouter les bruits de la rue. Et c'est ainsi qu'il les rouvre aussitôt, car son souffle erratique n'est pas le seul présent dans la pièce, non, il y a cet homme qui semble le dévisager (ne te vois-tu pas dans ce regard-là? Ne sont-ce tes traits, à toi, qui forment la mâchoire de Mars?). L'atmosphère se tend soudainement, et Mars ne sait quelle approche adopter. Devrait-il demander de l'aide? Le forcer à le dissimuler entre ces étalages? Il finit par se redresser, et entend la course effrénée, les exclamations de dehors. Il faut bien réclamer, il se lance.

« Ne voudriez-vous pas m'aider? Un homme cherche à me rattraper car il pense que je lui ai dérobé un objet. Ce n'est pas moi, le coupable, mais je ne suis pas d'ici, même innocent, je risquerais la prison. Vous comprenez? » (Mensonge.)

Tout miser sur la pitié, sur celle des inégalités entre pays, n'est peut-être pas la meilleure des solutions. Il espère sincèrement qu'il ne s'agisse pas de l'un de ces idiots qui ne font que cracher sur les Oubliés. Et quand bien même il avait véritablement volé cet homme, il n'était pas obligé de le savoir, n'est-ce pas? Il s'approcha un peu, juste au cas où Rosario serait capable de refuser. Cette situation lui faisait étrangement peur. L'idée de ne pouvoir rentrer plus tard lui glaçait le sang, pour la première fois depuis longtemps (à quoi bon espérer rentrer, si personne ne vous attendait, finalement?).

Il sifflote, car il n’y a pas plus belle journée que d’habiller ses mains de farine et de beurre fondu. À malaxer la pâte, lui donner forme et ne plus trop savoir quoi faire ensuite.
Ah oui, la levure. Ce nouveau mot qu’il ne connaissait pas avant. Le voilà bien fière et tout souriant de réussir quelque chose, enfin. Les doses sont minutieusement pesées et les œufs battus avec la tendresse de l’homme qui ne sait pas faire.
Et si ça déborde, c’est parce qu’il y met trop d’entrain.
Et s’il y a des morceaux de coquilles, c’est pour mieux fortifier les dents.
Et si ce n’est pas bon, tant pis. Il recommencera. Jusqu’à se recouvrir de farine, de pâte et de chocolat. D’abord en sifflotant, puis en râlant. Car la patience s’envole ; petite hirondelle au piaillement incessant. N’attend que le jour où ses mains deviendront expertes, à savoir quoi dorer, quoi torsader. Le talent de pâtisser qu’il espère un instant s’accaparer.  
Mais pour l’instant, ce n’est pas gagné.

Un bruit le fait sursauter, se retourner tandis qu’une porte se referme brutalement.
Il est là, le fruit d’un amour sans début ni fin.
La petite graine devenue fleur sans que jamais, ils ne sachent qui, ils ne sachent pourquoi.
Il n’y a pas cet instant de reconnaissance. Juste un petit chapardeur venu trouver refuge. L’oublié du désert qui ne veut pas finir derrière les barreaux, vient trouver refuge entre la farine et les pots de miel.
Un soupçon de pitié, un gramme de mensonge. Un peu de grimace et beaucoup d’amusement dans le regard de Rosario. Que ce gosse soit innocent ou non, cela lui importe peu.
« Je devrais peut-être appeler la police. Un voleur dans ma boutique ce n’est pas très bon pour les affaires… » Il fait mine de réfléchir, celui qui déjà ronronne de plaisir à la distraction.
« Ou bien te cacher sous le comptoir. Dans le four ? Mais qu’est-ce que j’y gagnerai moi, à cacher des gosses pas capables de se débrouiller tout seul ? »
Il essuie ses mains farineuses sur son tablier, ne faisant qu’ajouter une énième tâche à sa panoplie grisâtre.
« Ouai le four c’est bien, t’as l’habitude de la chaleur de toute façon ? » Le désert n’avait pas l’air de tout repos, peut-être le vieil homme devrait-il s’y rendre et parfaire son bronzage d’été.

Il y a la grimace sur le visage de Mars, aussi, cette grimace qui déforme un peu ses traits qui étire sa cicatrice. Ce visage, il est un peu camouflé par le nuage de farine qui flotte dans les environs (qui le surprend d'ailleurs un peu, oui), qui ne lui permet de distinguer nettement ceux de son nouvel interlocuteur. Il ne voit derrière que l'opale de ses yeux, que la grisaille de ses cheveux. Et puis, ses paroles un peu sèches (ironiques?), un peu brusques. Il fronce les sourcils, comme prêt à cracher son venin, persuadé que le fait qu'il soit voleur ne soit pas l'unique raison de son accusation (surtout après avoir clamé sa (fausse) innocence). Mais déjà, Rosario enchaîne, ne lui laisse le temps de défouler les paroles sur le fond de son palais.

Il est un peu rustre, le vieillard, qu'il note dans un coin de sa tête quand il essuie ses mains sur son tablier. Honnêtement, il aimerait simplement donner ses propres directives, mais le voilà qui lui indique d'entrer dans le four, et il sent ses nerfs (déjà attaqués par ses poursuivants) se tendre. Oh, il n'a pas que ça à faire, de jouer au plus malin si sa liberté est en jeu, non. Il préfère de loin s'approcher un peu, histoire de bien le voir (droit dans les yeux), ce boulanger. Il pose ses mains sur le comptoir et déploie son plus beau sourire d'hypocrite, un peu dérangé par la perspective du danger.

« Vous savez, moi je crois que du désert ou pas, quiconque entrerait dans un four serait bien fichu. »

C'est un peu comme avouer une vérité toute faite, après tout. Il était hors de question qu'il entre dans cet engin allumé, non, et s'il n'avait aucun bon endroit pour le cacher, il sortirait bien par une fenêtre sans se faire dévoiler. Et s'il cherchait à l'en empêcher, il avait déjà repéré une planche à pain assez lourde, au loin, pour l'assommer. Il ne serait trop difficile d'ainsi s'en débarrasser. Mais l'homme n'avait pas encore démontré une quelconque animosité quant à sa condition d'oublié, il n'était pas encore temps d'en venir à la violence.

« Si vous n'avez de meilleure solution, je pense que je me contenterai de passer mon chemin. Par là-bas. »

Il fait un mouvement de menton vers la fenêtre opposée et puis. Les bruits de pas derrière la porte, le temps presse un peu, Mars. Il serait peut-être enfin temps de se cacher.

Il a l’air féroce. Les yeux du loup égaré ; ne veut pas se faire attraper. Ce gamin qui rempli l’espace de cette petite arrière boutique, coincé entre un sac de sucre et les ennemis qui dehors, veulent hurler à la lune et dévorer les enfants.
Mais Rosario n’est pas un sauveur. Pas un saint ni même une âme charitable. Mars n’est personne (pour l’instant), juste un public à qui montrer les crocs, sourire et mentir.
Le laissera-t-il repartir ?

Le vieil homme hausse les sourcils. Soupire de dépit ; le renard ne dévorera pas de lapin aujourd’hui.
« Ils disent tous ça. Mais qu’est-ce que tu en sais toi, tu es déjà rentré dans un four ? Non bien sûr, tu fais comme tout le monde. » Comme une réprimande tandis que la voix gronde et que les sourcils se froncent. Ce n’est pas normal de rentrer dans un four  alors évidemment, personne ne le fait.
La jeunesse et son manque d’originalité. « Tu rates quelque chose, ce n’est pas un four classique. »
Et si on le prend pour un vieux sénile, peut-être rira-t-il aux éclats.
Mais déjà, les cris se rapprochent, les bruits de botte qui frappent la terre sèche comme une cavalerie en fuite.
Un regard à la fenêtre que le jeune lui désigne. Cela pourrait être amusant, de le voir gesticuler pour la traverser.
Mais amusant, il y a mieux. Alors Rosario fini par capituler (ne l’avait-il pas déjà fait ?) et lève les bras de manière théâtrale.
« Bon très bien ! Cache toi sous le comptoir. Tu devrais avoir honte de tourmenter les vieux commerçants. »
Le comptoir à l’opposé de la porte arrière ferait une bonne cachette, il l’espère. « Dépêche toi, s’ils passent par ici je leur offrirai mes plus beaux croissants. »
Ceux dans lesquels il avait renverser une bouteille entière de tabasco. Les meilleurs oui.

Rosario a quelque chose d'assez surprenant, dans sa façon de réprimander Mars sans même le connaître, peut-être (un peu comme le font les parents finalement), ou bien est-ce ce froncement de sourcil après ses paroles? Il est logique de refuser d'entrer dans un four, ne comprend même pas pourquoi l'idée même de le faire entrer dans un four lui a traversé l'esprit. Comptait-il le faire rôtir en son antre? Il espère bien que non (voilà qui serait assez glauque), ce serait cependant une bonne prison pour l'offrir à ses ravisseurs. Mais s'il le souhaitait, il pouvait bien le dissimuler pour mieux le vendre à ceux qui le recherchaient. Cependant, il lui accordait le bénéfice du doute, après tout de même avoir demandé :

« Vous avez déjà visité l'intérieur de votre four, vous? »

Car s'il grognait que Mars refuse d'y entrer, il doutait fortement que l'homme ait accepté de s'y engouffrer de lui-même. Et finalement, le voilà à baisser le crâne, à se glisser sous le comptoir comme le lui indique le boulanger, alors qu'il reste en une position lui permettant de se remettre bien vite sur ses jambes. Même s'il semblait plus blagueur qu'arnaqueur, Mars avait appris à ne pas se fier aux apparences, et préférait donc rester sur ses gardes. Rien qu'au cas où. Et puis la porte s'ouvre, et puis la discussion s'anime mais. Rosario ne dévoile rien, alors quand elle se referme, il se redresse en vérifiant que personne ne soit encore là mis à part son hôte, et il soupire de soulagement, en étirant ses muscles.

« Eh bien, incroyable journée. Je ne finirai ni en prison, ni à cramer dans un four. »

Maintenant le danger écarté, il pouvait bien se permettre des petits commentaires, non? Il lui semblait que le vieillard (il avait bien des cheveux gris) ne le prendrait pas mal. Ou peut-être se trompait-il. En tout cas, le sourire qui orna ses lèvres était plus réel que ses grimaces précédentes (et un peu énervées).

« Je suis heureux de voir que vous n'êtes pas de ce vieillards idiots persuadés que j'aurai mieux fait de croupir en prison. »

Il n’y a pas meilleure distraction que de jouer au vieux décrépi. À harceler la jeunesse ; d’abord oui, finalement non. À chercher querelle dans les moindres mots, les petites nuances. Les failles qu’on laisse élargir ; le vilain monstre qui s’engouffre et creuse creuse creuse. Jusqu’aux pleures, jusqu’aux colères lointaines qui finissent pas gronder. Éclater.
Que le petit voleur trouve le conflit que la rose voudrait tant voir fleurir. Là, des étincelles sous le toit bancale et les couteaux à beurre.
Mais pour l’heure, il faut choisir. Hausse les épaules. « Évidemment. » Le plus joli four de ses plus jolis mensonges.

La petite souris cachée, ne reste plus qu’à sourire et dire bonjour ; à ces affreux qui n’ont même pas frappé.
Ils sont laids, ils sont énervants. À insister, à demander. Où peut-il bien être caché ? Peut-être chez la vieille apothicaire leur explique-t-il, la gorge engluée de mensonge et la voix mielleuse. Personne n’aime les Oubliés n’est-ce pas ? Allons, ils vont vite le retrouver, ce petit égaré. Il n’y a ici que le miel et la vanille. Ou voulez-vous qu’il soit ? Enfouis dans un sac de farine ?
Il rigole un peu, s’amuse beaucoup de la mascarade qui se fini bien trop vite à son goût. Un merci, un au revoir et les voilà partis après un peu d’insistance. Sans même s’être laissé avoir par l’appât du croissant noirci.
Les vipères.

« Ils ne seraient de toute façon pas capable de te trouver si tu gesticulais devant leur nez. » Qu’il grogne en s’éloignant de la porte. Quelque peu énervé par son croissant ignoré.  
Et sur les mots, il s’insurge un peu. « Vieillard ?? Je suis dans la fleur de l’âge ! Personne ne t’as appris à respecter les adultes ? Regarde-toi, tu n’as même pas encore de barbe. »
Les petits mots qui fâchent. Un peu, juste de quoi le distraire, faire gronder Rosario une minute ou deux. Bientôt il  en rira car effectivement, c’est un vieillard.
« C’est idiot ta place est à la garderie, pas en prison. Qu’est-ce que tu crois, qu’ils sont payés pour faire du baby-sitting là-bas ? »
Il avait quoi Mars… 12 ans ?
L’homme finit par s’asseoir à côté du comptoir, observant le nouvel arrivant d’un œil critique.
« Et si tu me disais ce que tu as volé ? »

Finalement, Rosario joue assez bien la comédie du gentil papy qui ne veut de mal à personne, qui ne sert un peu à rien, qui est là pour le décor de la scène. Si bien que les affreux finissent par partir à la poursuite de l'homme invisible (qu'ils n'attraperaient jamais). Et Mars est bien heureux de la situation, il se sent un peu plus en sécurité dans cette boulangerie, à présent. Il a la belle impression que tout va mieux qu'il ne le pensait, de prime abord (finalement, on ne le vendra pas parce qu'il vient d'un ailleurs rejeté). Et puis, il rit un peu. Pour son commentaire, oui, mais aussi car il s'offusque de si peu. Il a cette réaction qu'ont ceux refusant d'admettre l'âge avançant, mais ne lui en veut pas. Il est bien difficile de ne plus s'avouer si jeune, avec les quelques soucis de santé que cela engendre bien évidemment.

« Vous savez, je ne parlais pas de vous en disant vieillard. Ne vous offusquez pas aussi aisément. »

Petit rire amusé, il n'a pas de barbe mais cette remarque lui rappelle tant Will qu'il ne peut s'empêcher d'ainsi pouffer. Et puis, le rire redouble un peu, le voilà qui s'appuie sur le comptoir, les joues étirées en ce grand sourire. Le même que sa mère. Il secoue la tête, il essuie ses mains sur lesquelles la farine a bien pris sa place et puis. Il penche un peu la tête, il s'approche, il le toise en s'installant à côté des croissants (cramés).

« Vous avez raison, ils en auraient bien trop marre de changer mes couches. »

Ironique, non? Car Mars a bien fait des choses qui mériteraient la prison, de ce monde. Il est loin, le petit garçonnet angélique (au visage poupon de ceux qui boudent sans arrêt). Mais finalement, surprise. N'a-t-il pas dit qu'il n'avait rien volé? C'était mensonge, soit, mais... Peut-être que le vieillard voyait trop clair, en ce petit jeu, alors il haussa les épaules en sortant une bague qu'il avait dérobé. Un truc avec une pierre précieuse qu'il ne connaissait pas, qu'il fit tourner entre ses doigts.

« Ce n'est pas pour moi. Un client voulait la récupérer. Paraîtrait-il qu'il se l'est faite voler par ce malfrat. Je me fiche pas mal, de savoir si c'est la vérité. »

Triste réalité, finalement, le voilà qui range le bijou dans sa poche, qui descend du comptoir, qui observe Rosario, qui sourit, encore. Il a cette mimique plus aisée (est-ce Orion qui l'a rendu plus tendre?) qu'avant, il est bien plus approchable, vraiment.

« Vous saviez que je mentais? »

Le voilà en sécurité et en bien étrange compagnie, le petit voleur sans nom. Plus détendu, plus serein. L’idée d’une vie en prison est un bien grand motif de peur et d’aversion. Mais tout est réglé n’est-ce pas ? Peut-être devraient-ils joyeusement se prendre dans les bras, crier victoire et partager ce moment autour d’un croissant un peu trop croustillant en se racontant leurs bons souvenirs.
Mais le "vieillard" est quelque peu offusqué. Aussi Rosario se contente d’un regard noir. Mordant et décourageant. Une critique de plus sur ses cheveux blancs et peut-être changera-t-il d’avis.
La prison, c’est pas si mal pour la jeunesse irrespectueuse. La jeunesse en couche culotte.
« En tout cas ne compte pas sur moi pour les changer. »
Une grimace. Le nombre de fois où le vieil homme avait bien pu pratiquer cette abominable activité pouvait certainement se compter sur les doigts d’une main. Et ses femmes se sont toujours très bien débrouillées ; un bébé braillant au bout du bras. Puis une deuxième. À quoi bon aider, elles avaient l’air de si bien s’amuser…

Le bijou dérobé vient briller un instant dans l’arrière-boutique. Joli. Rosario aurait bien aimé l’attraper, le faire rouler entre ses doigts usés mais le voilà déjà rangé dans la poche de son nouveau propriétaire. Alors il secoue juste la tête en le regardant avec une pitié amusé. « Tu parcours les pays à la recherche de truc que les gens sont pas foutus de récupérer eux-même ? J’espère au moins que ça rapporte autre chose que des courses poursuites et des séjours en prison. »
Ça n’avait pas l’air terrible comme job mais l’arrivée de Rosario à Althea était encore récente, qui sait comment le désert évoluait.
D’un geste, il invite le garçon à s’asseoir au bord du comptoir tandis qu’il fait de même. Une petite invitation à rester, encore quelques secondes ; quelques minutes. Le "vieillard" ne le met pas encore à la porte.
« Tu mens bien je te l’accorde, ton cinéma de petit chiot innocent aurait pu marcher avec la jolie épicière d’à côté. Mais pas de chance, t’es tombé sur meilleur que toi ! »
La modestie n’avait jamais fait parti de ses principes. Le voilà qui lève un bras pour se désigner tout entier, un grand sourire jovial aux lèvres et un air triomphant. Lui qui n’a pourtant jamais rien gagné de ses mensonges à travers les années si ce n’est un public outré.
Le pauvre petit. Mentir à un mafieux bosselé d’aventures ce n’est pas si simple.
« Mais t’en fait pas, quand tu seras toi aussi dans la fleur de l’âge tu mentiras peut-être aussi bien que moi. Allez prend un croissant, ils sont délicieux malgré l’apparence. »
C’était faux, mais si le monde entier continuait d’ignorer ses pâtisseries, il allait devoir les manger lui-même.
Horrible.

Il voit son regard sombre porté sur lui, ça le fait sourire, ça le fait bien rire. Oh, s'il est si susceptible, il espère qu'il ne sera pas trop idiot au point de ne savoir quelque peu rire à ses commentaires. Car Mars ne pense pas à mal, non, quand il tente d'amuser Rosario. Il est assez grand pour se les changer tout seul, ses couches culottes. Il n'a pas (n'a jamais eu) besoin d'un adulte, d'un père, pour s'en charger. Ce n'était que sa mère, si esseulée. Il a envie de le lui signifier, mais, finalement, se contente de ne pas le froisser plus. Après tout, qui sait s'il ne retournerait pas sa veste pour quelques paroles maladroites.

Il n'est pas offusqué par la remarque de l'homme. Il a presque envie de lui dire que les courses poursuites, il arrive généralement à les esquiver. Pas cette fois. Alors il hausse les épaules, il sourit un peu. Rosario ne comprendra peut-être pas.

« Je gagne mon pain comme vous vendez le votre pour vivre, vous savez. Ce n'est pas comme si il y avait trente-six solutions pour être bien payé, au Désert. »

Il ne rechigne pas à s'installer, finalement, adrénaline passée. Il suit le mouvement, s'assoit confortablement, et regarde autour de lui un peu plus précisément. Il faudrait probablement qu'il se mette à sérieusement envisager user des mêmes sourires Colgate que Will pour faire flancher les gens. Si même Rosario affirme que son cinéma n'a pas fonctionné avec lui...

« Pour être meilleur qu'un menteur, il faut bien être menteur soi-même. Vous avez dû tremper dans des trucs louches aussi, alors. »

Ça devait couler dans le sang, finalement. Probablement que c'était quelque chose de famille, oui. Et puis, ça le fait rire un peu, il prend un croissant en main comme on le lui dicte (gentil garçon bien éduqué).

« Merci pour l'invitation. J'essaierai de mentir mieux que vous, alors. »

Et puis, croque la pâtisserie, grimace un peu, ne s'était pas attendu au goût épicé. Qu'avait-il ainsi fourré, pour que le goût en ressorte amer? Il lève le regard, curieux, vers Rosario, fait l'effort de bien avaler sa bouchée, ne sait trop s'il le vexerait en faisant un commentaire, mais décide de bien tenter.

« Vous savez, je crois que vos croissants sont trop épicé. »

Il ne sait comment, ni depuis combien de temps il est ainsi à travailler, mais le résultat n'est pas un franc succès... Il y a quelques progrès à faire, pour sur.

Il a de bonnes répliques le petit. Et Rosario ne juge pas ; chacun son job, chacun son pain comme il dit si bien. Le désert n’a pas l’air commode, il ne sait pas, ne peut qu’imaginer. Lui qui n’a fait qu’arpenter quelques dunes, fouler deux ou trois grains de sable de ses pieds énervés. N’a vu du désert que les souterrains qui l’ont vu atterrir dans un grognement frustré. Lui, il ne voulait pas tomber.  
Pourtant, il se demande parfois si Caer Hrid n’a pas fait erreur. La mafieux en son cœur, n’aurait-il pas était plus heureux de trafiquer sous les grandes chaleurs du sud ? le sable comme manteau ; les pieds dans l’eau. Oh peut-être que son tout nouveau pays regrettera, de faire ainsi entrer les hyènes en son sein.
Le vieillard à beau ne pas encore tout connaître d’Althea, les façons de gagner sa vie dans la malhonnêteté, ça il sait.
« Je ne peux qu’imaginer, je ne connais pas bien le désert. Moi au moins, on m’a recruté. »
Une petite pique. Cette dernière phrase dite dans un air narquois, les crocs de la hyène retroussées. Il ne pense pas à mal, juste à titiller, à savoir. À pousser dans les derniers retranchements et voir ce qu’il y a, là tout au fond du gouffre humain.
Probablement rien de bien beau, comme pour tout le monde ; les sourires ne sont parfaits qu’en surface.
Il est pourtant content de voir le garçon s’installer à ses côtés. Un peu de compagnie pour le charognard qu’il est. Une jolie réunion de famille, aurait-il pu dire. Dommage, il ne le saura pas.
Il rigole à ces paroles, le grand menteur. Ça le fait bien rire ça, des "trucs louches".
« Qu’est-ce que tu crois, que je trafique de la drogue dans mes petits pains au lait ?? Je suis un simple pâtissier depuis toujours, je ne vois pas ce qu’il y a de "louche". »
Il laisse sous silence son passé à escroquer, à donner les coups plutôt que recevoir. Petit mafieux devenu pâtissier dans un passé bien trop proche à son goût.
Mentir mieux que lui, il aimerait bien voir ça. Mais après tout, Rosario n’est pas une divinité quelconque, encore moins la perfection incarnée. Un mensonge parfait, ça n’existe pas.

Croque donc dans le croissant. Épicé oui, c’est peut-être le mot. Est-ce une légère grimace sur son visage tandis que le jeune avale péniblement ?
Tant mieux, son croissant est donc parfait.
Il se contente de sourire (beaucoup) et de taper l’épaule du gamin dans un geste d’appréciation.
« Épicé, épicé… qu’est-ce que t’en sais toi,  t’es pâtissier ? Mes croissants sont parfaits comme ils sont. C’est bien plus marrant de surprendre les clients, ils sont tous hilarants à faire la même tête que toi. »
Oh il le sait bien, ses croissants sont immondes. Lui-même n’ose plus les goûter depuis ses premiers essais. Pourtant, la grimace de dégoût refoulée, presque polie rend le teint des clients bien plus original que leur parfait petit sourire hypocrite.
Il est marrant le gosse, à vouloir cacher le dégoût et peser ses mots.
« Mais tu peux le dire : ils sont dégueulasses. »