Quelques jours s’étaient écoulés depuis la cérémonie dédiée à Raeb. T’y avais assisté, plus par principe que part véritable envie. Tu ne portais certes pas l’explorateur dans ton coeur, mais il avait accompli son rôle à la fin en sauvant la vie de Raphaëlle. Ce n’est pas que la vie du guide ne t’importait pas, mais t’étais d’avis que celle des civiles devaient être protégées. Puis bon, son sacrifice avait quelque chose d’admirable, quelque chose qui a retenu ton jugement lorsqu’est venu le temps d’écrire un rapport sur l’expédition. Cela dit, si la cérémonie t’a laissé un peu de glace, elle t’a rappelé certaines choses que tu devais faire. Tu t’étais promis de t’assurer que tout le monde se portait mieux maintenant que la vie retournait lentement à la normale. C’est Raphaëlle que tu décides d’aller voir en premier, parce qu’elle est celle qui a le plus risqué de mourir (puis elle est la plus jolie, ça joue en sa faveur). Elle était aussi la plus facile à retrouver. Il t’a suffit de parler d’une Raphaëlle qui fait des spectacles à quelques membres de la sécurité et on t’a tout de suite aiguillée au bon endroit.

Et quel endroit c’est. Tu sais pas pourquoi, mais tu t’attendais pas à ce que tu découvres en arrivant devant un cabaret. Autant dire que tu es vite dépassée par les lieux, loin de ton élément et de tout le sérieux dont tu fais preuve en règle générale. T’essaies même pas de feindre un sourire ou de te montrer un minimum décontractée. Non, t’as toujours le même visage au neutre alors que tu t’approches d’un employé. « Où est-ce que je pourrais trouver Raphaëlle ? » Tu vois que le type hésite, comme s’il craignait que tu sois une fan un peu étrange ou quelque chose comme ça. Tu songes un instant à utiliser ton titre pour qu’il te laisse tranquille, mais à la place tu te contentes d’un : « Tu peux aller lui demander, on se connait. » Et peut-être que ce type en a tout simplement rien à faire parce que ça lui suffit. Il te signifie d’attendre pour repartir en arrière-scène. Tu sais pas si t’arrives à un mauvais moment ou quoi que ce soit du genre. T’attends juste de voir si on te laissera passer ou si on te fera attendre inutilement. Quoi qu’il en soit, tu forces un mince sourire sur tes lèvres lorsque tu te retrouves devant la danseuse. « Bonsoir Raphaëlle. Je dérange ? » Peut-être, t’es prête à attendre s’il faut.

C'est que leur promenade dans perdition ne quitte ses nuits, ni même l'idée que Raeb s'était jeté derrière elle. Pour la sauver. Pour lui éviter la mort, s'offrant, par la même occasion, peut-être ce destin seul (quel crétin). Mais elle se félicite, pourtant, de n'avoir été un boulet total, même hors de son élément. Elle souffle du bout des lèvres, se regarde dans la glace, car, même lorsqu'elle tente de décompresser, il faut bien que les pensées reviennent à la charge. Elle relève les cheveux en une haute queue de cheval, lorsque l'on vient la solliciter. Elle tourne le regard, elle acquiesce brièvement. Jill, venue entre les satins et les paillettes pour lui parler? En voilà, une nouvelle qui la surprend. Et lorsqu'elle tourne la tête, lorsqu'elle voit ce visage familier, elle secoue un peu la tête, lance un regard vers l'homme qui n'a pas quitté la loge dans laquelle les deux femmes se retrouvent.

« Vous pouvez partir, je la connais. »

Et il ne prend guère longtemps avant de s'enfuir, comme apeuré qu'elle lui lance son venin (peut-être plutôt habitué à la situation).

« Bonsoir. Non, vous ne dérangez pas, vous avez de la chance, je suis encore en pause pour vingt minutes. »

Elle est bien différente, Raphaëlle, ce soir. Elle n'a rien de la jeune femme un peu perdue de l'autre jour, à se peinturlurer le visage de boue aveuglément. Ici, elle porte du maquillage qui rendent ses yeux et ses lèvres plus brillants, plus félins, plus gracieux. Elle a une robe longue, rose, qui s'ouvre en fente jusqu'en haut de sa cuisse, et des diamants dans les cheveux (des faux, évidemment). Adieu les chaussures plates, bonjour les talons qui lui font facilement gagner huit centimètres. Et les rôles se sont inversés, cette fois, c'est Jill, qui n'est pas à sa place. Raphaëlle, cette fois, est aux commandes, quand elle demande avec un ton léger.

« Je ne vous pensais pas du style à venir assister aux spectacles, je me trompe? Pourquoi êtes-vous ici? »

Et elle a cette prestance, aussi, dans la voix, qu'elle n'avait pas dans les bois.

On ne peut pas dire que ton léger malaise s’améliore alors que tu te fais guider jusque’à une loge. C’est une chose d’afficher un minimum de certitude devant un type quelconque, c’est une autre que de te retrouver hors de ton élément face à quelqu’un qui est clairement dans le sien. « Ça ne devrait pas être très long de toute façon. » À vrai dire t’en sais rien, c’est une visite de courtoisie plus qu’autre chose, une simple envie de t’assurer que tout le monde se porte bien après les malheurs de perdition. Tu n’as aucune envie de venir perturber sa routine ou de la mettre en retard pour sa représentation. Tu serais partie bien avant ça, quoi que… non t’allais pas assister quand même. Après tout, comme le fait si bien remarquer l’artiste, t’es pas exactement le public habituel, probablement pas le public cible non plus. « Non vous êtes en plein dans le mille. » T’as jamais mis les pieds dans le cabaret avant aujourd’hui. T’y remettras probablement pas les pieds de sitôt, sauf en cas de grabuge.

Tu finis par forcer un mince sourire sur tes lèvres, comme pour t’éloigner de ta tête d’enterrement habituelle. « Je voulais juste m’assurer que vous vous portiez bien après l’expédition. » T’hésites un peu sur la fin, n’ayant pas franchement envie de raviver les mauvais souvenirs qu’elle pourrait en garder. Si les choses se sont somme toute bien terminées, tu ne peux pas t’empêcher de te dire que la (possible) mort de Raeb était évitable. T’aurais du mieux protéger tout le monde, ça c’est une évidence. C’est aussi un commentaire que tu gardes pour toi, tu n’as pas besoin de t’avancer sur tes échecs. Peut-être que des excuses seraient de mise, toi qui n’a pas réussi à complètement accomplir la tâche qui était la tienne, mais tu ne te lances pas non plus dans cette direction. « Enfin je vois déjà que vous êtes revenue dans un environnement qui vous va mieux. » Pas vraiment une critique, plus une observation. Il faut dire que Raphaëlle, bien que resplendissante dans la jungle de Perdition, brille bien plus dans ses nouveaux apparats. Mais ça, tu te gardes de le faire remarquer.  

C'est amusant. Car si les rôles s'inversent, Raphaëlle n'a pourtant pas l'impression d'être bien au dessus de Jill aujourd'hui. Elle garde en image toutes ces décisions prises, ce sang froid dont avait pu faire preuve la femme, et un fin sourire se dessine sur ses lèvres alors qu'elle tire un crayon de sa trousse à maquillage, d'un air un peu distrait. La voilà qui se retourne plus franchement face à elle, qui l'observe un instant. Dire qu'elle avait proposé à cette femme de la porter hors des forêts folles de Perdition... Qu'avait-elle cru?

Mais bien sûr, Jill ne venait que pour son devoir, que pour s'assurer qu'elle allait bien. Allait-elle bien? Probablement pas. Elle n'en avait pas clairement l'impression, avait un étau à son cœur. Mais comment l'affirmer à quelqu'un d'apparence si forte? Elle l'avait vue en bien pire état que cela, Jill. Elle l'avait vue recouverte de boue, totalement paniquée à l'idée de perdre Orion, mais, maintenant, elle redevenait femme fière. Et à quoi bon? Peut-être qu'avouer la vérité ne ferait pas de mal. Peut-être avait-elle besoin de le dire de vive voix pour que ses démons s'en aillent, enfin. Alors elle rit un peu à sa dernière remarque, d'un rire légèrement jaune, ça se sent. Elle acquiesce vaguement, elle se regarde dans le miroir pour quelques retouches, parle, tout à la fois.

« Vous avez raison. La jungle et moi, nous ne sommes pas vraiment amis. Comme la fin de cette expédition a pu le prouver. »

Elle a la voix qui faiblit légèrement, le regard qui se perd dans son propre reflet. Celui qu'elle a tant de mal à supporter, celui qu'elle aimerait tant effacer. Alors elle soupire avec douceur, et glisse son regard vers Jill, encore debout, à travers la glace.

« J'aurais aimé que ça ne se termine pas ainsi. J'aurais aimé... Que Raeb ne se jette pas aux pieds de ce dinosaure à plumes. J'ai simplement l'impression... L'impression que l'on se sent sans cesse obligé de me sauver, que les malheurs arrivent par ma faute. »

Raeb, oui, mais elle a encore cette faible cicatrice, sur sa gorge, qui témoigne d'un incident plus lointain (d'un cadavre en bout de rue). Et si ce souvenir ne lui fait autant de peine que celui de leur guide disparu, la sensation de faiblesse qui s'ensuit, celle d'être entièrement redevable à un homme laisse dans sa gorge ce goût âpre du regret. Mais Raeb est mort (probablement). Son deuxième sauveur, elle ne peut plus rien pour lui, contrairement au premier. Elle ne peut même pas le remercier. Mais affiche un beau sourire pour satisfaire Jill.

« Je suppose que ce sont des choses qui arrivent, lorsque l'on part à l'aventure. »

Et cela aurait pu être pire. Cela aurait pu être Orion.

Le rire jaune qui traverse les lèvres de Raphaëlle t’indique que t’as peut-être manqué un peu de tact, que t’as peut-être touché une corde sensible. Considérant la fin de l’expédition, c’est sans doute normal. Tu retiens la pique envers Raeb qui ne demande qu’à se faire entendre, il ne sert à rien de mal parler des (peut-être) morts. « Je ne pense pas que la jungle soit l’amie de quiconque. » Sauf peut-être Félix qui semblait relativement à l’aise. T’as quand même la franche impression que Perdition n’accueille jamais vraiment qui que ce soit. Tu reviens au silence aussitôt pour laisser le champ libre à la danseuse. Tu ne veux pas la brusquer, pas plus que tu ne veux lui rappeler des mauvais souvenirs. À ses dires, tu hoches la tête avec une douceur qui ne t’est pas naturelle. Tu n’as pas l’habitude de ménager les autres sur ce qu’ils ressentent, mais Raphaëlle n’est pas une membre de la garde de Requiem. À devoir la décrire, tu la comparerais sans doute plus à une fleur qui mérite plus de délicatesse que tu n’es capable de donner. Peut-être que ce n’est pas une comparaison juste ou même une comparaison qu’elle apprécierait, mais elle existe quand même dans ton esprit.

Ce qu’elle ajoute te ramène à la présente situation. Trouver les bons mots n’a jamais été dans tes cordes, mais t’essaies quand même. Tu taies surtout les reproches que tu pourrais faire à propos de Cassandra pour ces choix d’explorateur ou même de Raeb pour son incompétence globale. « J’imagine que c’est effectivement le risque de toute aventure. » T’imagines, t’en sais trop rien en fait. T’as jamais été particulièrement exploratrice dans l’âme, donc tu ne saurais dire avec certitude. Pour ce qui est de son impression… la vérité c’est que tu ne sais absolument pas quoi lui répondre. T’hésites entre un trop plein de franchise et un minimum de tact. La seconde option de parait plus appropriée dans la situation, mais la première t’est bien plus naturelle. Autant essayer de parvenir à un semblant d’équilibre entre les deux, pour ce que ça vaudrait. « Pour ce qui est de vous sauver et des malheurs, vous n’êtes pas à blâmer. » Après tout, pour toi le blâme tombe sur les épaules de Cassandra, de (feu) Raeb et de ta propre personne. T’hésites un instant avant de poursuivre. « Si Raeb ne l’avait pas fait avant, j’aurais probablement essayé de vous sauver coute que coute. » Pas forcément parce que c’est elle, la vérité c’est que t’aurais été prête à te sacrifier pour n’importe lequel de vos compagnons - sauf Raeb. « C’était ma responsabilité de vous protéger. » Pas qu’on t’ait vraiment donné l’ordre de le faire, ils devaient tous venir en connaissance des risques, mais quand même. T’estimes que c’était ton rôle dans cette mission, au moins t’as pu protéger les civils à défaut de sauver l’explorateur.

Tu finis par avancer d’un pas, comme si ça changerait quoi que ce soit à la situation. Tu te forces à être un peu plus douce, compréhensive - quelque chose qui ne te va pas nécessairement. « Puis vous nous avez permis de survivre au t-rex avec Orion, ce n’est pas rien. » Ta façon de lui dire qu’elle devrait être fière, peu importe la fin de la mission ? En quelque sorte.  

Raphaëlle sait quelle image elle renvoie, aux yeux de Jill. Elle le sent, dans les pincettes qu'elle emploie à son encontre, ces pincettes qu'elle a toujours eu l'habitude de recevoir, encore sur Terre. Mais ici; ici tout est différent. Elle a été jetée dans la cage des lions, la douce princesse aux pétales fragiles. Elle s'est forgé des piquants empoisonnés, elle n'a plus besoin d'être dorlotée par les douces paroles d'une (presque) inconnue. Car elle s'en doute, Jill aurait probablement souhaité alliée plus disposée à l'aventure ce jour-là (plutôt qu'elle). Et elle affiche un sourire, quand elle entend les quelques paroles de la cheffe de sécurité. Elle se lève, elle lui fait face (presque impressionnante, parée de strass).

« Je commence à croire que vous êtes un super héros. Ou pensez-vous l'être? »

Sourit doucement en coin, elle fouille dans quelques malles pour trouver une écharpe de soie. Elle réfléchit un peu, elle tend l'oreille aux moindres paroles, et elle sait que Jill ne ment pas : c'était très certainement sa responsabilité. Mais aurait-elle souhaité que l'on se jette à sa place, à celle de Raeb, dans la gueule du dinosaure? Certainement pas. L'idée même la rendait malade.

« Peut-être était-ce votre responsabilité de le faire. Il faut aussi croire que les gens ici ont l'esprit du sacrifice, hm? Ou bien est-ce cette sensation de devoir? »

Elle ne comprend pas bien, est un peu égoïste. De tous ceux qui prétendent pouvoir se jeter en pâture pour autrui, elle serait celle qui mentirait le plus. Même pour des êtres chers, Raphaëlle ne serait pas certaine de le faire. C'est qu'elle n'a ce courage là, et, quand elle a cherché à sauver Orion, elle n'a pas vraiment réfléchi à une possible mort, à dire vrai. Les lianes semblaient plus encombrantes que mortelles. Et, enfin, elle pouffa de rire en enroulant le tissu autour de son cou. C'était bon, elle était prête pour son prochain spectacle. Mais elle avait encore le temps de papoter, rien qu'un peu, avec cette héroïne, puisqu'il fallait le reconnaître.

« Vous savez, vous n'êtes pas obligée de prendre des gants. Je ne suis peut-être pas entraînée pour assurer la sécurité d'une ville entière, mais les remarques dures, j'en ai l'habitude. Et, à vrai dire, je préférerais presque la vérité à quelques mots doux. Mais vous avez raison. Au moins ai-je pu vous éviter la mort. »

Elle penche un peu la tête, quand elle reprend.

« Mais vous aussi, avez évité bien des erreurs. »

Etait-il temps des compliments?

Un super-héros, toi ? Certainement pas, mais il faut avouer que la comparaison est flatteuse. T'as peut-être juste le sacrifice facile, mais c'est bien plus issu d'un sens du devoir qu'autre chose. Alors tu ne peux qu'hausser les épaules. « Si j'étais un super-héros, on n'aurait pas perdu Raeb. » Il n'a jamais été ta priorité, t'aurais sauvé n'importe quel autre membre de l'expédition avant l'explorateur, mais c'est un détail que tu préfères taire à nouveau. Tes aprioris sur votre guide ont sans doute eu l'occasion de filtrer pendant votre aventure, mais tu n'en es pas au point de revenir sur la question. « Le sens du devoir sans doute. » Tu ne sais pas si tu serais prête à te sacrifier si ce n'était que de ce sens des responsabilités, ce soucis de bien remplir ton rôle de protectrice de Requiem. Et c'est pour ça que tu considères la mission comme un échec plus qu'une réussite, mais tu n'as pas envie de t'étendre bien longtemps sur ce point. De toute façon, tu n'as pas eu le temps de te sacrifier pour les protéger, t'as même plutôt été un poids après le moment où l'ours t'a frappé.

Tu continues d'observer Raphaëlle alors qu'elle termine de se préparer. Ça rend la conversation un peu particulière, ne serait-ce que parce que tu ne peux pas t'empêcher de te sentir comme une intruse dans ce monde de paillettes. Tu dois faire pâle figure en comparaison, mais qu'importe, d'autres traits te définissent, en théorie du moins. T'arques un sourcil face à ce que la danseuse ajoute. Tes efforts étaient-ils si évidents que ça ? Semblerait-il que oui. T'hoches la tête avant de t'arrêter au compliment qui te semble adresser. Hm. « Je me suis aussi prise un coup de pattes, quitte à parler de malheur. » T'ironises un peu, même si t'es bien trop consciente que l'ours aurait eu ta peau si ce n'était des soins de Gavrila et du temps gagné par Orion et Raphaëlle.

Tu soupires légèrement avant de reprendre. « Mais soit, la vérité. » Puis qu'elle l'a préfère presque et que c'est toujours ta préférence personnelle. « Vous n'auriez pas du être de l'expédition, Orion non plus. » La décision aurait été entièrement la tienne que tu aurais sans doute refuser d'impliquer Félix, mais un.e biologiste a tout de même plus sa place dans une telle expédition qu'une danseuse ou un jeune. « Cela dit, vous avez tous les deux été utiles et nous ne nous en serions peut-être pas sorti sans votre présence. C'est une victoire à prendre. » Une victoire que tu ne prendrais pas à sa place, mais t'es bien plus exigeante envers toi-même que tu ne devrais l'être. « Pour ce qui est du besoin de vous protéger, ce n'est pas vraiment propre à vous malheureusement. » Enfin, tu la protégerais elle avec plaisir, mais c'est un tout autre ordre d'idée.

Raphaëlle sourit un peu à la mention de l'attaque à laquelle Jill a su survivre. Oui, un gros coup de patte, et, pourtant, elle est encore là, bien vaillante. Il faut croire qu'un monde sauvage d'animaux enragés n'aura pas la peau de cette digne cheffe de la sécurité, non. Elle s'en rend compte, Raphaëlle, et lâche, d'un ton un peu enjoué, un peu taquin, c'est que, lorsqu'elles ne sont en pleine jungle, lorsqu'elles n'ont aucun danger de mort et des ordres à suivre (ou à donner), elle se sent bien plus apte à faire quelques commentaires amusés (ou amusants).

« C'est vrai, un gros coup de patte. Mais vous êtes encore debout, et ce, sans mon aide. Quand bien même je vous l'avais offert. »

C'est qu'elle hausse les sourcils pour mettre l'emphase sur ses mots. Oui, Gavrila avait aidée, mais avait-elle véritablement envie d'en faire mention? Mais elle écoute la vérité sans broncher, elle ne fronce pas les sourcils face aux mots justes de Jill. Elle approuve, vraiment, aucune de ses remarques n'est un fait approuvé. Alors elle se contente d'un bref mouvement de tête, comme pour approuver ses dires, comme pour montrer qu'elle ne lui en veut pas, d'ainsi appuyer sur ce qui aurait pu la blesser.

« J'ai pensé (je pense encore) la même chose que vous. Je n'aurais pas dû être de l'expédition. Pourtant, je pense qu'Orion y avait plus sa place que moi, c'est qu'après tout, il aspire à être scientifique, a certainement vécu plusieurs situations dangereuses. Je l'ai accompagné, il est vrai. Plus pour me rassurer qu'autre chose, c'est que... » Elle marque une pause, ne saurait si dévoiler la vie de son compagnon serait bien judicieux. Alors elle reste vague, quand elle reprend. « Il a déjà souffert. Je ne voulais pas le laisser seul face au danger. »

Bien qu'inutile, il est vrai. Au moins s'assurait-elle qu'elle donnait tout pour le sauver, si jamais cela tournait mal. On n'oublie pas des années à se serrer les coudes si rapidement, non. Cependant, un fin sourire revint orner les lèvres de la danseuse, et, pour la taquiner (peut-être aussi parce que Jill était mine de rien une femme charmante, bien que totalement différente d'elle), glissa dans un rire non méchant, presque confident :

« Malheureusement? C'est que cela ne m'aurait pas déplu d'avoir un garde du corps tel que vous, plutôt que ces hommes sans intérêt au pas de ma porte, il est vrai. Vous auriez eu tout le loisir de me sauver à plusieurs reprises. »

Ouais, t'es encore debout malgré le gros coup de patte. Faudrait vraiment que tu passes remercier Gavrila pour les soins prodigués, parce que le résultat de la mission aurait été différent autrement - au moins te concernant. Pour ce qui est de l'aide qu'elle t'avait proposée... « J'aurais probablement été trop fière pour littéralement devenir un poids sur vos épaules. » Sans doute même, parce que t'as bien trop de fierté pour ton propre bien. T'aurais préféré mourrir plutôt que mettre le reste du groupe encore plus en danger. Certes, tu l'as fait en prenant des décisions un peu bancales, mais c'est une chose de faire erreur et une autre de devenir un boulet.

Au moins tu peux te dire que tes pires décisions n'égalaient pas celles d'envoyer des civils dans une mission. Tu caches pas le fait que t'aurais pris ni Orion, ni Raphaëlle dans la mission si ça n'avait tenu qu'à toi. Tu ne t'attendais pas à ce que la danseuse abonde dans le même sens, au moins en ce qui la concernait elle, mais au moins, ça te prouve qu'elle a une tête sur les épaules. Elle n'était peut-être pas faite pour la jungle, mais tu sais apprécier ce genre de qualité à tête reposée. « C'est louable de vouloir le protéger. » Tu peux pas le nier même si tu ne le comprends pas forcément. C'est peut-être parce que t'as personne à protéger de cette façon. « Vous vous connaissez depuis longtemps ? » Pointe de curiosité, rien de méchant. Tu te demandes juste d'où vient ce soucis de l'accompagner dans le danger, même quand c'est une jungle hostile. Au final, tu ne peux pas juger une telle motivation, même si t'étais d'avis qu'elle n'avait pas sa place dans la mission. « Peut-être juste laisser cette tâche aux professionnels la prochaine fois. » Enfin, est-ce que tu comptes vraiment comme une professionnelle pour ça ? Pas vraiment. Tu ne le penses pas en tout cas, mais tu l'es plus qu'elle en soit.

Parce que ça reste ton job de protéger que ce soit elle ou tous les autres. Sa répartie t'arrache un sourire. « Ça vous arrive si souvent de vous retrouver en danger ? » Ça ne t'étonne qu'à moitié. Raphaëlle te fait un peu penser à un joyau que bien des hommes doivent convoiter. C'est une nouvelle réflexion que tu gardes pour toi-même, préférant rebondir sur le fait qu'elle te préférerait plutôt que les hommes inutiles qui la gardaient en temps normal. « Après s'il vous faut un peu plus de protection je peux changer la route de mes rondes pour passer près d'ici. » Parce que tu fais toujours des rondes, trop attachée au terrain pour rester uniquement dans un rôle plus administratif. Puis tu te dis que, au-delà de la présence de Raphaëlle, le club semble être un lieu à problèmes potentiels. « Même si j'imagine que le feu suffit à faire fuir bien des gens. » Ouais parce que t'as pas oublié qu'elle maitrise les flammes et qu'elle n'est donc pas totalement sans défense et que, par conséquent, tes propositions de protection ne sont peut-être pas si utile que ça.

Raphaëlle a un petit rire, c'est vrai, quand Jill affirme qu'elle aurait refusé son aide. Oh, ce n'est pas vraiment une surprise. Elle a le sourire qui tangue sur le bout des lèvres, quand elle répond avec franchise :

« Oh, je le sais. Je pense que je vous aurai porté, de gré ou de force. Après tout, on ne peut refuser une main tendue une fois qu'elle a déjà attrapé la nôtre. »

Ou bien si. Mais pas dans de telles conditions, ce serait bien compliqué, Raphaëlle le savait. Elle écoute presque Jill la sermonner comme une enfant, mais ne s'en offusque pas. Elle se doute que c'est le défaut professionnel qui parle, qu'elle aurait pu comprendre, sûrement, si elle avait vu Orion tomber comme il l'avait fait tant de fois, déjà. Raphaëlle ne voulait revoir les larmes et les déceptions. Il ne méritait plus de regretter quelques actions.

« Depuis le kamikakushi, à vrai dire. Il est un peu ma seconde maison. Et même si des professionnels seraient en capacité de le protéger, qui me dit qu'ils se tueraient pour lui, pour autant? »

Car tout le monde n'aurait défié des lianes étrangleuses dans l'espoir d'aider Orion. Cela avait, soit, relevé de la bêtise, mais elle n'avait eu qu'un objectif en faisant cela : l'empêcher de suffoquer. Et toute la honte que cela avait pu apporter sur le moment n'ôtait ce fait : elle avait cherché à le sauver, au péril de sa propre vie. Et c'était bien assez.

« Hm, plus qu'on ne peut l'imaginer. Disons que j'ai déjà évité le pire. Plusieurs fois. »

Et par le pire, Raphaëlle entend la mort. Mais elle ne le dirait pas comme ça, n'avouerait non plus quelle vie a sauvé la sienne. Elle préfère taire ce passé là car (elle est redevable, elle honore, fascinée par des mains masculines qu'elle n'a aperçu que quelques secondes, quelques minutes, pourtant) cela serait une faute grave, que d'avouer.

« Oh, les flammes font peur, évidemment. Mais cela n'empêche pas les téméraires, et, bien que la sécurité s'en occupe, je dois avouer qu'ils sont un peu... Détachés. Hm, je ne saurais expliquer. Mais je ne vous embêterai pas dans votre travail, je taquinais plus qu'autre chose. Tout cela pour affirmer que quelques jolies femmes en plus dans notre cabaret ne ferait pas de mal, n'est-ce pas? »

Elle a le sourire amusé. Sûrement que Jill ne s'estime pas jolie, mais Raphaëlle aimerait contredire. Car les femmes fortes ont autant de beauté que les fleurs délicates (peut-être est-elle un peu des deux, cygne aux blanches ailes).

« J'espère d'ailleurs que notre entrevue ne vous empêche pas d'effectuer votre ronde efficacement. »