Les larmes coulent coulent coulent et ah ne s’arrêteront-elle jamais ? De dévaler les joues meurtries par un factice chagrin. Il invente la douleur, le petit prince. Il invente la douleur et le chagrin. Mais Iseult n’a pas un gramme de tristesse à abriter en son sein ; trop de rage et trop de flamme où la mer n’oserait s’aventurer. C’est pourtant long ruisseau qui parade sur sa peau, la nargue pour en faire sa marionnette, ô désespérée marionnette.
Elle l’entend s’accroupir, le ressent comme un fer chaud contre sa peau. Rêverait de le voir déguerpir ; dépérir. Le visage toujours caché pour dissimuler les cruelles perles d’eau, elle marmonne, gronde tel un affreux monstre.

« Si c’est ça ta bonté, j’préfèrerais presque que tu deviennes cruel. »

La douleur physique, elle pouvait maitriser. Le reste, peut-être pas. La voleuse le sent contre son crâne, qui pousse, pousse pour la faire chavirer elle qui ne fait que tanguer.
Sent les larmes se tarir et d’un mouvement brusque, elle relève la tête, essuie l’humidité sur ses joues d’un geste rageux, désordonné. Les iris bleutées viennent se perdre dans celles de l’autre, les sourcils à jamais froncés. Parce qu’elle ne comprend toujours pas. Que lui veut-il ? Qu’attend-il ?
Car elle ne partira pas non. Il la veut loin, alors elle restera.
La coréenne se relève d’un coup, vengeresse. Qu’il reste donc à ses pieds, c’est lui qui l’a désiré. Et d’un brusque coup de talon contre le sol, une vibrante onde de choc vient faire son affaire, envoyer l’affreux bonhomme s’écraser contre le mur d’en face. Le mur craque (quoi d’autre ?) et elle sourit, ignorant la crampe qui prend forme dans son ventre, le contre-coup qui ne la fera pas flancher non non non.

« Pourquoi je reste ? Parce que j’veux voir le reste de ton horrible exposition. J’veux voir si tout au bout, c’est ton visage que je verrai affiché là dans un coin sombre. Tout délaissé, un peu comme toi qui te planques derrière tes photos. La douleur des autres elle est plus belle à voir en vrai, ton art ne leur rend même pas justice. »

Elle renifle, crache par terre et se détourne pour avancer un peu plus dans la galerie.
Photo suivante.

Elle aime, le voir se tenir les côtes, rechercher le souffle ; celui-là même qui manque aux victimes étalées sur les murs. Elle aime se dire que même au bout, elle peut encore écraser les ingénieux petits cafards. Même les joues humides d’une insulte à peine déguisée, Iseult peut encore faire mal. Craquer les os, broyer les chaires. Son élan de colère n’a pas balayé les clichés, dommage dommage elle se promet de recommencer ; jusqu’à craqueler le verre, faire mordre la poussière.
La douleur sur son visage, elle l’aime, s’en délecte une seconde. Et le laisser là par terre alors qu’elle reprend sa route n’est que justice. L’entend pourtant tousser, se relever alors que déjà, la voleuse fait mine de s’intéresser à l’œuvre suivante. Peut-être aurait-elle dû être bien plus brutale, bien plus bestiale. Qu’il s’affale donc contre terre pour lui baiser les pieds, lécher ses souliers. Qu’il rampe un peu, le dos éclaté en morceaux brisés. Mais si Iseult est rancunière, ange de vengeance, elle n’a pas plus de temps à consacrer au petit prince qui jamais non jamais n’atteindra le trône car il n’a de beau que le nom.

Photo suivante. Des pleurs encore des pleurs. D’un geste énervé, elle vient essuyer pour la millième fois ses joues rougies à force de les avoir frottés. Eliminer la moindre trace d’eau, la plus infime marque de faiblesse. Mais Iseult a du mal à se concentrer quand elle le sent roder dans son dos. Un peu plus loin mais toujours trop proche, oh affreuse petite sangsue.

Iseult avance et
lui aussi.
Ca la gêne, horrible aura qui la démange là dans la nuque. Rusé petit renard qui attend probablement son heure, à observer ses moindres gestes, les possibles failles. Arrêtée devant un énième tableau, elle finit par reprendre la parole (le silence, elle n’aime pas) sans se retourner, le regard toujours rivé vers le papier glacé et pourtant,
pourtant toute son attention porte sur le démon à l’arrière.

T’as pas autre chose à faire ? J’sais pas genre, t’occuper d’autres clients ? Ah nan c’est vrai ta galerie est pourrie, ya personne. »

Petit ricanement. C’est vrai qu’il n’y avait pas grand monde aujourd’hui.
La voleuse s’approche d’un cadre, plus petit que les autres. Se met sur la pointe des pieds pour le décrocher, un petit sourire plaqué sur le visage ; tout contraste avec les folles larmes délivrées quelques secondes plus tôt.

« J’vais prendre ça. »

Pas sûr qu’elle le garde mais l’idée de dérober un peu de l’art de l’autre lui plait. Beaucoup.  

Oh oh l’orage approche, si cruel dans son dos qu’elle en perçoit la foudre, les yeux rivés sur son nouveau bien ; petit larcin qui ne rentrera certainement pas dans son petit sac de sournoise voleuse aux mains baladeuses. Gronde gronde le tonnerre et le sourire n’en ai que plus grand ; comment bien titiller les méchants. Petit dragon qui dans son antre se préfère roi, mais rien n’arrête les cambrioleuses quand beaux trésors se jettent à leurs pieds. Pour décorer ses toilettes il faut bien mettre la main à la pâte.

Ah c’est la tombe, l’hécatombe quand l’artiste lui attrape le poignet pour ne plus le lâcher. Les griffes du monstre pour écorcher la peau bronzée à force de paresser sur les toits. Haussement de sourcils et Iseult se crispe car n’apprécie pas qu’on la touche, qu’on lui impose.
Ah qui pleure maintenant ? Sous les muscles bandés pour parer à tout éventualité, la coréenne est sombre feu de joie à l’intérieur.
Il n’est pas content, ah quelle merveilleuse journée !
Peut-être n’aurait-il pas dû la faire pleurer.
Si la force lui rougit la peau elle n’en montre rien. La souffrance c’est dans la tête et la sienne est trop bien barricadée.
Repose ça repose ça. Tout de suite.
Petit ricanement, personne ne lui donnera jamais d’ordre.

« Tout de suite, tout de suite. C’est pas très bien demandé ça. »

Elle qui n’y connait pourtant rien en matière de politesse. L’autre serait-il tout aussi impoli ?
Mais soudain la Mirage a froid, si froid. Froncement de sourcil et petit frisson. Encore un, encore un autre. C’est supportable et elle ne fait que grimacer.

« Fais gaffe t’as des problèmes avec ta clim’. »

La chair toujours emprisonnée Iseult se décide à délicatement déposer le cadre sur le sol, contre le mur (elle s’en voudrait bien d’endommager son futur bien) pour de sa main libre, attraper cette griffe qui l’enserre et jamais ne desserre. Les doigts contractés presque autant que ceux de l‘autre dans une charmante, oh cruelle pose quand tout deux se mordent la queue.
Petite flamme dans les yeux à peine courroucé, Iseult fait face en se rapprochant un peu.

« J’ai dit que je prenais ça. On peut faire un échange si tu veux, j’te donne une photo, j’embarque la tienne et voilà chacun repart tout content. Tu m’oublies, je t’oublie et tout est bien qui finit bien ! »

Petit sourire effronté, le voir si furieux lui fait oublier toute ses faiblesses passagères. Les larmes ? Vite disparues. Le froid ? Oh elle mettra un pull.
Elle aime bien ce jeu finalement.

Il fait froid, trop froid et elle est hargne. Trop accaparée par le jeu (car maintenant s’en est un, elle a presque compris les règles) pour savoir si elle fait bien. Si elle fait mal. Si elle ne file pas tout droit dans la gueule des enfers, à dévaler les marches, se casser la gueule ; tomber et recommencer. Et les genoux tout en sang peut-être rira-t-elle, plus tard quand elle se sera bien amusée ; se seront tous deux bien torturés.

Ah personne ne veut lâcher le premier. Ouvrir la mâchoire et laisser filer la proie. Qui est qui ça elle ne sait plus bien Iseult, elle s’est peut-être trompée, les règles elle ne les connait pas encore. Pointe de sérieux reflétée dans les pupilles courroucés. Il l’aime sa galerie, ça se voit ça se sent. Et Iseult n’aime pas l’amour ; horrible et repoussante malédiction. Ba, ils seraient tous bien mieux sans, à lancer des lames plutôt que des baisers, des bombes plutôt que des lettres toute sucrées. C’est poisseux, hideux et ô dieu que ça à l’air de faire mal, l’amour. Quitte à se trouer le cœur une bonne balle fera l’affaire, elle en est certaine. Mais Iseult ne compte pas la lui prendre sa galerie. Non juste un petit tableau, promis un simple petit tableau. Ou peut-être qu’elle reviendra, on ne sait jamais avec elle ; une promesse ce n’est rien, juste un mot de plus un mot de trop, regretté trop vite balayé trop tôt.

« Va falloir me lâcher pour ça. »

Petit sourire amusé. Ah c’est qu’elle a les mains prises à tenter de s’arracher (s’accrocher) et croit-il que les photos tombent du ciel, là juste en levant les yeux ? Adorable.
Elle se dégage brusquement, un petit coup d’onde de choc pour aider, presque trop gentil comparé à la première charge. C’est qu’il ne faudrait pas se briser les os sur les belles images, oh ça elle a compris.
Se recule d’un pas, soulève le lourd appareil à son coup tout en surveillant l’autre du coin de l’œil. Elle n’a pas confiance, jamais.

« Ok ok tu veux quoi… » Elle parle seule, n’espère pas vraiment de réponse tandis que les photos défilent sous son nez, trop loin pour que l’autre puisse y jeter un œil. Elle lui arracherait le bras pour trop oser s’approcher.
Une poubelle, oh parfait !
Ou une plaque d’égout, encore mieux.
Elle réfléchit, marmonne dans sa barbe. A ce qu’elle peut montrer, ce qu’elle veut révéler de son petit jardin secret.

« AH ! »
Trouvé.

Dans un sourire auquel il ne faut pas se fier, elle lui montre l’écran sans toutefois lâcher l’appareil.
Une photo prise à l’Arbre aux lucioles, le tronc bien trop gros pour pouvoir être entièrement vu dans une prise aussi proche, l’écorce est bien sombre sous l’éclat de la nuit éternelle. Et dans un coin, une dizaine de lucioles toute brillantes attirées par une torche non magique. Un vrai feu, ce n’était pas très commun là-bas où tout est magie et plantes phosphorescentes et c’est d’ailleurs ce qui avait attirée Iseult dans ce recoin isolé. Petites lucioles viennent se brûler les ailes à trop se rapprocher.
Petites lucioles viennent s’écraser au pied de leurs sœurs à trop vouloir s’émerveiller.
Iseult se souvient. Après avoir pris la photo, elle s’était approchée pour mieux voir et ça l’avait envouté, ces petites bêtes mortes sous l’arbre de la vie. Un peu cramées, brillants encore légèrement comme si rien n’était encore fini ; et pourtant si.

Iseult est orgueilleuse Iseult sait ce qu’elle vaut. En combat. Et en photo ? Elle n’en a aucune idée, sautille d’un pied à l’autre, presque impatiente, presque nerveuse. Car bien qu’elle ne l’avouera jamais, les murs sont ici recouvert d’œuvre d’art et c’est un art qu’elle aime, apprécie. Et, Iseult alors, sait-elle faire mieux ? Sait-elle faire aussi bien ?