Les paroles de ma camarade Mariette étaient pertinentes, ce n’était pas le moment de succomber aux harcèlements des autres cuisiniers jaloux de mon talent. L’urgence était de faire un plat à l’apparence correcte avec toute mon envie de sabotage cachée à l’intérieur, et c’est ce que je continuai à faire.

Je mis le pain dans le four à 80°C pendant 30 minutes. Pendant l’attente je hachai et fis cuire l’oignon et l’échalote pendant 8 minutes dans la poêle avec du beurre, en même temps je découpai le chou fleur pour le déposer dans de l’eau bouillante dans la casserole pendant 6 minutes afin d’assurer un croquant agréable pour les amateurs de textures. Après avoir égoutté le chou, je fis revenir l’autre partie du riz rond avec les oignons et les échalotes pendant 2 minutes pour ensuite les laisser de côté et m’attaquer à la sauce avec la poêle nouvellement vide.

Je versai d’abord l’huile de sésame puis la sauce soja, après avoir porté à ébullition je baissai le feu pour laisser mijoter pendant 5 minutes tout en remuant et en ajoutant un peu de miel. Ensuite je tamisai la farine pour la diluer avec de l’eau froide et l’incorporer dans la sauce jusqu’à ce qu’elle devienne épaisse. Il ne restait plus qu’à mettre le chou et bien enrober chaque morceau avec la sauce puis déposer des graines de sésames sur le tout.

Je laissai la tâche de placer le chou esthétiquement avec le riz aux champignons pour après, le plus urgent était de préparer des assiettes creuses, une contenant de l’oeuf, une autre de la farine et la dernière étant vide car elle attendait son ingrédient qui ne tarderait à être prêt : Le pain.

Avant de me jeter vers le four et retirer le pain je formai des boules avec le riz aux oignons et échalotes, contenant dans leur cœur l’ingrédient secret, les larves caramélisées.
L’extraction du pain se déroula sans soucis, pas de coup de jus, mais un petit tournis se fit ressentir.
Pensant que ce n'était que de la fatigue, je continuai à amener le pain vers la zone de travail lorsque je me rendis compte d’une erreur capitale.

“Mierda ! J’ai oublié de le couper avant de le mettre au four !”

J’avais en face une brique déguisée en pain, il fallait le réduire en miette et j’utilisai l’outil le plus proche à ma disposition.

“La casserole fera l’affaire.”

De bruyants coups de métal firent écho dans la salle, motivé par mon invincible désir de perdre, je continuai jusqu’à ce que la brique devienne des petites miettes que je plaçai dans l’assiette vide. Soulagé d’avoir réussi si vite à faire la chapelure, je constatai qu’une tomate avait été écrasée sauvagement à côté du pain, et c’est en suivant la trace du jus que mon regard s’arrêta sur sa destination, le riz aux oignons et échalotes, devenu rose après cet incident passé inaperçu.
Je fis immédiatement revenir le riz dans une poêle mais la couleur restait immuable. “C’est pas grave, je n’ai qu’à colorer le chou et les boules de riz prochainement panés d’une autre couleur !” Je pris un des colorants que je crus être le bleu et le versai sur le chou pour avoir la surprise d’une coloration rougeâtre sur ma concoction.

“Mais ?! Comment est-ce possible que je fasse de telles erreurs ?!”

Puis mes jambes lâchèrent, je me retrouvai à genoux aux sol, incapable de continuer à cuisiner.
J’étais persuadé que c’était le coup de jus, quelle âme ignoble aurait bien pu saboter un rival d’une telle façon ? Un fanatique de chipolata sûrement, c’est toujours les pires.
J’essayai en vain de me lever, mon front était brûlant et des maux de têtes stridents surgissaient. Il ne restait plus qu’une solution, faire qu’Athena se sabote elle-même.

“Athena... J’ai besoin de ton aide !” Criai-je à contre-cœur.

Il manquait une infinité d’étapes, colorer la chapelure en bleu, mélanger le riz aux champignons avec des vers vivants, cracher sur le chou… Mais, après tout, tant que le plat n’était pas une merguez la défaite était assurée, il ne restait plus qu’à le finir.

“Il... Faut paner les boules de riz… Pour bien cacher les vers qui sont à l'intérieur... Et aussi... Mettre les choux avec le riz aux champignons… N’oublie pas… Le colorant... Bleu…”

Je m'écroulai, en disant une dernière phrase, tel un testament.

“Montre la beauté des merguez au monde…”

Un dernier clin d'œil vers la caméra et je fermai les yeux.

J’étais de retour à la lumière, confus comme une merguez demi-cuite.

“Où suis-je !?... Et… Qui suis-je ?”

Des réminiscences faisaient surface, d’abord les merguez, puis tout le reste. Quelques secondes après, je regardai Athena d’un air paniqué.

“Est ce qu’on a perdu ?! Dis-moi qu’on a perdu !”

De vagues souvenirs de voix me traversèrent l’esprit, me rendant compte que ce n’était pas de simples fragments de rêves, je les assimilai à la situation actuelle.
“Manger le plat des autres, moi ? Jamais je ne salirais ma langue spécialisée en dégustation de merguez avec du poison préparée par des cuisiniers de pacotille ! De toute façon toute cette compétition n’est que-”
J’arrêtai mon enchaînement de pensée, mon regard s’était posé sur le reflet d’une casserole placée sur la table de travail, c’était mon reflet, déformé par l’ondulation du métal.

Quelques secondes, peut-être quelques minutes après, une réflexion à la fois inconsciente et consciente s'achevait.
“Pourquoi douter autant des autres ? Ils ont sûrement tout donné pour cette compétition. Ils méritent bien plus que des insultes par un soi-disant cuisinier qui ne sait faire que des merguez.”
Je regardai à nouveau Athena, la pauvre personne que j’avais saboté.

“Je suis sûr que ton gâteau va gagner la compétition ! Je vais même le goûter en dernier pour garder le meilleur pour la fin.”

Puis je me dirigeai vers le plat de ma camarade Mariette. “Comment ai-je pu la mépriser, elle et les autres, alors qu’on a passé des situations de vie et de mort ensemble ?”
Je dévisageai son plat, comme si je n’étais pas digne de le manger. Mais il était nécessaire de le faire pour pouvoir donner une note à tous ces incroyables cuisiniers.
Je pris une cuillère et mangeai une bouchée du tartare avec un bout de champignon dessus.

Je me tournai vers Mariette, je levai le pouce et dis-je :

“C’est délic-”

Et je tombai à nouveau, la tête contre le sol, le pouce toujours levé, mais pas de clin d'œil cette fois-ci.