Personne ne t'attendait là-haut. La seule chose qu'il te restait encore de bien tangible était ici, à côté de toi. Assise dans le carré VIP aux côtés de ta seule famille restante, aux côtés du Roi Alexander... tu balayais la foule d'un regard dur et austère pour ne pas laisser apparaitre d'autres émotions sur ton visage.

En armure tu avais chaud, et pourtant tu n'avais pas l'idée de te lever pour t'aérer l'esprit ou pour profiter du buffet. Lorsque Tatsuya s'était emparé du micro pour son discours, ton attention s'était centrée sur lui et sur les mots qu'il allait soigneusement choisir. Tout comme le gouvernement de Caer Hrid, c'était une personne dont on appréciait peu les idées, mais qu'on respectait pourtant tout autant.

Après les adieux poignants du président Celestien (non), ce fut au tour du Roi de Caer de s'exprimer sur les derniers évènements. A la mention de Chris, tu haussas un sourcil et appuya ta tête, le coude sur l'accoudoir. Tu lui jetas un regard méprisant, menton relevé et fierté étiolée. Sa trahison qui t'avait fait écoper de quelques jours de prison, tu ne l'avais toujours pas digéré. Mais pourtant, tu étiras un sourire légèrement confiant quand aux sous-entendus subtiles et imperceptibles du discours de ton frère, et tu fis un léger mouvement de tête à celui-ci lorsqu'il se rassit.

La seule chose à faire en cet instant était de ne pas agir.

Gavrila est arrivé en retard et a suivi l’essentiel du discours à travers son Holokit. Cela ne l’a pas empêché d’en concevoir une profonde envie de vomir. Il n’y a pour lui rien de plus suspect que deux requins affectant la décontraction, l’un déroulant évidemment le tapis rouge à l’autre qui lui laisse toute latitude de relancer son expansionnisme – et Cassandra a-t-elle seulement songé à la manière dont elle composerait avec ces dangereux mouvements sur l’échiquier ? À supposer que cet orgueilleux Tatsuya soit bel et bien capable de tenir ses promesses. À vrai dire, il ne comprend pas que tant de gens aient consenti à se réunir sur un fondement aussi fragile. « Les scientifiques sont formels » : à merveille ! Ont-ils eu vent du moindre essai effectué pour s’assurer de la sécurité des volontaires ? Ont-ils la garantie que cette étrange tour ne va pas provoquer un nouveau Kamikakushi ? Et les Oubliés, dans tout ça ? Et si par quelque miracle les Célestiens parviennent à remonter sur Terre sans dommage, qu’adviendra-t-il des pouvoirs qu’ils ont développés ici-bas ? Tatsuya, une fois là-haut, cèdera-t-il sa place de leader, acceptera-t-il de redevenir un simple homme face aux puissances mondiales ou poussera-t-il l’orgueil jusqu’à les persécuter de revendications ? Là-haut, s’accommodera-t-on de ces retours inespérés, de ces êtres changés ? Comment les Célestiens seront-ils accueillis ? En proches enfin retrouvés ? En héros ? Ou en menaces ?

Beaucoup de questions se bousculent dans l’esprit du soigneur, plus alarmé qu’il ne le voudrait par la perspective d’une catastrophe à laquelle il aurait préféré ne pas être mêlé. La densité étouffante de la foule l’oppresse et il s’efforce de se tenir en marge tandis qu’il suit la localisation de son ami, les yeux rivés sur son Holokit. Lui n’a jamais eu l’intention de repartir, après tout ; rien n’aurait pu l’y résoudre à part la promesse de retrouver Ivana et de pouvoir lui faire dix gosses – au moins. En vérité, il ne serait même pas venu s’il n’avait pas pressenti la stupide curiosité d’Hee-Jun autour de l’événement ; or, il subit encore la morsure de Perdition et sait qu’il en gardera un cuisant souvenir, en partie pour n’avoir pu se trouver à ses côtés pendant cette douloureuse épreuve. C’est une erreur qu’il ne répètera pas. « Qu’est-ce que tu fous ici, Hee-Jun ? » s’enquiert-il cavalièrement en guise de salut sitôt qu’il réussit à lui mettre la main dessus. La crispation sévère de sa mâchoire trahit une nervosité qu’il ne veut pas admettre. Sont-ils là pour assister avec cynisme à une odieuse hiérarchisation des amours, pour regarder de fragiles relations se défaire, ne pas résister aux invincibles intérêts personnels ? Tatsuya prétend renouer des liens, recomposer des foyers, mais il détruit tout aussi bien, souffle indifféremment tout ce qui a pu être reconstruit malgré son projet fou de remonter à la surface. « Cassons-nous. Ne me dis pas que tu es triste ? Pire, que tu envisages de remonter ? » Au fond, il le connaît maintenant assez pour savoir que ce n’est pas le cas ; pourtant, il ne s’amuse pas à formuler la moindre boutade quant à l’envie de remonter que pourrait lui inspirer sa simple fréquentation. « Partons, insiste-t-il plus gravement. Je flaire le désastre. » À choisir, il aurait préféré que ce soient les Caeriens qui leur fassent de l’air !

elle a la bouche pleine, pleine de petits fours comme si c'était la première fois qu'elle mangeait depuis des jours. et même si a l'air d'un hamster, belle pioche encore dans les plats parce que qu'elle supporte mal le gâchis. et imaginez qu'il en reste une fois qu'ils seront ...

le discours. le discours. ce discours. elle mâchonne ce qui ressemble à une petite pizza, les yeux dans le vague, perdue dans des calculs qu'elle illustre sur ses doigts. des calculs, encore des calculs.
prendre les informations, les compiler, les analyser. c'était de ça qu'était fait son métier, sa vie.

alors certes d'ordinaire il s'agissait de formules chimiques, d'informations sur des strates, de géophysique, ou bien des densités, des datations, du minéral.... pas de l'animal. mais elle fait une exception, pour ses pairs. l'homme est un animal intelligent.
mais pas tout le temps.

elle pose ses trouvailles sur la table, en vrac, un des petits fours dégringole par terre. quelque chose la torture, quelque chose trotte dans son esprit comme un tic tac d'horloge. les calculs sont pas bons, tatsuya. pas assez de données, pas assez d'informations concluantes. qui a fait les calculs ? elle a envie de le crier mais comment pourrait-elle ? qui est-elle après tout ? elle, toute seule, là.

belle repense à cette lettre de motivation qu'elle a écrit il y a des mois, celle pour le CRP. peut-être aurait-elle du la donner plus tôt....
elle repense aux gens qu'elle a croisé ces cinq dernières années. à ses recherches, à tout les efforts déployés. à tous ces gens entassés, des larmes dans les yeux et des étoiles dans le cœur. toutes ces émotions tourbillonnantes, tout autour d'elle. et à cet improbable découverte. c'est énorme. énorme.

il manque pourtant quelque chose, quelque part, un élément, un tout petit rouage.

elle tourne en rond, elle réfléchit. vite, très vite. que faire, quoi faire, que dire... les calculs sont pas bons. elle devrait être tellement heureuse, elle devrait penser à sa mère et ces gens et ces choses qu'elle veut revoir chez elle.

au lieu de ça, elle se tâte, elle hésite. elle joue avec la branche des lunettes de soleil sur son nez. le scepticisme des scientifiques, quelle plaie.