La chute fut longue,
La chute fut peuplée de cris,
La chute fit mal.

Il faisait horriblement chaud et tu avais beau essuyé ton front toutes les secondes, l'eau s'échappait de ton corps, qu'importe le temps que tu passais à boire encore et encore. La chaleur était anormale, on criait au réchauffement climatique, que c'était peut-être le début de la fin. Tu n'en avais que faire, déplaçant les cartons du magasin pour remplir les allées, perdu dans des pensées dont tu étais le seul témoin. Tu ne devais pas oublier en rentrant d'aller acheter de la viande, pour une fois, pour ta petite soeur. Elle avait réussi ses concours d'entrée dans une grande université, cela voulait dire qu'elle allait enfin quitter le nid. Une petite douleur à la poitrine tandis que tu pinçais tes lèvres. Elle allait te manquer, sans nul doute. Mais c'était très bien ainsi, elle ne devait pas rester moisir dans ce trou. Elle ne devait pas rester dans cette capitale puante dont les hommes laissent la cruauté se dépeindre sur leurs visages boursoufflés. Encore une fois, en rentrant, tu ne pus que constater celle-ci, ne regardant que d'un oeil morne une pauvre victime se faire brutaliser par ce qu'on appelait des adultes. Tu serras la bride de ton sac, repartant vers chez toi, vers ta soeur, mordant au sang ta lèvre. Les faibles meurent en ce monde.

Tu la laissas s'endormir sur tes genoux, rouspétant quand même contre son envie folle d'avoir eu l'envie de picoler jusqu'à ce que le sommeil vienne. Caressant ses mèches, profitant de regarder son visage endormi. Détournant ton regard d'elle pour fixer la nuit noire dont l'éclat de la pluie venait percuter vos fenêtres. Tu fronças les sourcils, constatant que ce n'était guère normal pour la saison, te demandant si réellement le début de la fin surviendrait bientôt. Que c'était idiot ! A la place, tu te remis debout, déplaçant ta soeur jusqu'à sa chambre pour qu'elle ne dorme pas à même le sol, la bordant une dernière fois avant de sombrer toi-même dans le sommeil réparateur.

Un bruit tonitruant se fit entendre, un râle d'agonie, un bruit si imposant, si percutant que tu te réveillas en sursaut, tes yeux ne s'habituant pas à l'obscurité devant toi. Tu hurlas, essayant de faire entendre ta voix, essayant de sentir les murs qui s'effritaient autour de toi, essayant de retrouver ta soeur. Titubant sur tes jambes, empêtrés encore dans quelques draps, tâtonnant des mains devant toi. Mais tu glissas, dans un gouffre dont tu ne pouvais entendre que des hurlements. De ta propre bouche. Tu chutais, tu tombais et même en tentant de tourner ta tête, tu ne pouvais point voir ceux aux alentours. Étais-tu seul ? Était-ce la fameuse fin du monde ? Allais-tu mourir ? C'est donc ça la mort.

A quoi bon crier ? A quoi bon se débattre ?

La chute fit mal. Que tu préférais fermer les yeux.

C'était la panique. C'était des cris, des mouvements, c'était des pleurs. Tu ne pus que t'assoir péniblement, une main dans la masse de cheveux, caressant distraitement ta tête, un mal de crâne se pointant. Tu eus beau cligner des yeux, ce n'était que des inconnus, des visages que tu ne connaissais guère. Le visage de ta soeur n'était pas là. Tu eus beau faire le tour, tu eus beau tenter, rien, elle n'était pas loin. Et malgré cela, tu n'arrivais pas à pleurer, tu n'arrivais pas à admettre que tu ne la verrais plus, tu n'y arrivais tout simplement pas. Tu pensais la retrouver, tu pensais qu'elle serait là à t'attendre, à sourire comme elle sait si bien le faire, à te réveiller de ce cauchemar qui semblait juste commencer. Mais rien, rien du tout. A la place, tu suivis docilement les autres, tu suivis la masse, tu suivis le troupeau, n'espérant rien, attendant simplement que la mort vienne toquer à ta porte. Regardant d'un oeil éteint les capacités des uns et des autres.

Une lumière au bout du tunnel. Cela te rappelait toujours ceux qui disaient cette phrase, cette fichu phrase comme si la personne était morte et que le paradis l'attendait de l'autre côté. Tu la détestais, cette phrase. Un sourire amer sur ton visage, un vague souvenir de cette vie que vous aviez là-haut. Et un paysage impressionnant qui se déroulait sous vos yeux. Ainsi, vous étiez donc bien mort. Un rire se déploya de ta gorge sans tu ne pus l'arrêter, sans que tu ne puisses rien y faire, tandis que certains te regardaient avec pitié. Tu n'en voulais pas de leur pitié, tu ne voulais rien d'eux. Des larmes qui coulèrent sur ton visage tandis que tu regardais ce ciel qui ressemblait tellement au vôtre.

Une semaine passa et certains découvraient des pouvoirs. Tu n'en avais pas et cela te convenait. Les faibles qui se reposaient que sur cela finiraient tôt ou tard par mourir. Tout comme les intrépides qui absorbèrent bien plus de cristaux qu'il n'en fallait, tout comme les idiots qui commencèrent à mourir sous ce surplus. Une drogue. Etait-ce donc cela ? Des groupes se créèrent et inconsciemment, tu ne voulais pas te retrouver chez les faibles hommes. Au risque de traiter avec l'avarice et la cruauté, tu préférais cela à la gentillesse, ignorant ce sentiment qui ne t'avait point accordé de revoir ta soeur. Cela ne servait à rien. S'il fallait devenir fort pour survivre, tu le deviendrais en piétinant autrui sans pitié, la rage déformant leurs traits te procurant un sentiment de fierté.

Les années passèrent. Le roi Alexander trônant au-dessus de tout, toi, simple soldat dans ses rangs. Tu n'étais rien d'autre que cela, mais tu ne voulais pas n'être qu'un sous-fifre, certainement pas. Tu commenças à défier tes "collègues", leur mettant une raclée monumentale. La grâce, la rapidité et le nombre de coups que tu portais, tu fis ta propre place au sein de ce royaume, qu'on te surnommas "Lame de Caer Hrid". Ton nom n'était pas inconnu, on te craignait ou on te respectait, mais sur le champ de bataille, seul comptait la mort que tu pourfendais aux ennemis. Tu avais oublié les sentiments positifs, tu avais tout oublié, préférant teinter tes lames de sang. Un sourire sur le visage, toujours. Un dernier vestige, une dernière promesse que tu t'étais faite. Quitte à propager la mort, autant qu'elle soit souriante. Car, elle t'attendait au tournant, à chaque tournant de rue, tu le savais. Un jour, elle-même, elle te prendra le dernier souffle de ta maigre vie.

Le roi n'était plus. Et avec lui, le royaume n'était plus qu'une vaste blague. Des conseillers furent nommés et le peuple paraissait heureux. Tu t'en fichais royalement, tout ce qui t'intéressait était de combattre autrui, d'annexer les autres, de dominer, de prôner que le faible demeura faible s'il ne brandit pas sa lame. Abandonner son royaume signifiait fuir comme un lâche, cela aussi signifiait recommencer à zéro, et tu ne voulais guère perdre de temps. Combien de temps te restait-il avant de trépasser ? Une année, des dizaines ? Combien de temps avant qu'on ne te tue ?

Combien ?

Un simple pas pour franchir un autre tournant, le sourire aux lèvres, attendant que la mort puisse elle-même te sourire.

Était-elle souriante,
La Mort ?