Equipé de tout son nécessaire de soigneur, Gavrila est partagé entre l’excitation qu’il éprouve à la perspective de s’aventurer – enfin ! – en Perdition et l’appréhension inévitable que lui cause l’objectif de leur mission. Ils sont censés réussir là où d’autres Astres – probablement plus compétents pour certains – ont échoué, et si la présence du chef de la sécurité de la Vallée est rassurante à cet égard, le retard de la tête brûlée qui dirige ordinairement l’Entre-guerre l’est beaucoup moins. C’est donc avec une frustration douloureuse que le chirurgien regarde les autres groupes s’éloigner petit à petit, pendant qu'eux restent plantés là comme des cons : « Pourquoi se presser quand nos pauvres camarades attendent des renforts depuis une semaine déjà, hein ? Une heure de plus ou de moins… » Il se pince l’arête du nez dans un soupir excédé et finit par relever la tête pour considérer le reste du groupe. Il ne connaît pas tout le monde personnellement ; parfois il n’a qu’un nom, qu’une réputation à l’esprit et, comble de l’ironie, le seul Caerien présent lui est peut-être plus familier que certains de ses compatriotes. Mais enfin, il faudra faire avec. Sans chercher à se présenter plus avant – pourquoi fraterniser quand ils risquent tous de mourir bientôt ? –, il suggère à Camillien : « Vous pourriez prendre la tête de l’expédition à la place de Donovan, non ? »

Résumé : Gavrila trépigne d’impatience et râle à cause du retard de Donovan. Il fait remarquer à Camillien qu’il est tout aussi compétent pour prendre la tête de l’expédition.
Pour ceux qui ne sont pas sur Discord, Camillien et Thelma vont poster après moi !

Camillien se tue à tapoter ses doigts contre sa veste au rythme de sa patience qui s’épuise : il se drape de sa propre carcasse frigide et brave le silence d’œillades glaciales en s’efforçant d’investir le socle de sa fonction –ah, même du haut de ses années l’envergure nouvelle de la tâche l’effraie. A le voir, on le croirait autorité incontestée au charme plat mais indéniable des statues de sel, mais Camillien contestable n’est rien de tel. S’il érige en son esprit Donovan en douteuse effigie de supériorité, à cet instant il le dépeint parangon d’impedimenta –un rouage défectueux qui en empêche tout mouvement.
La longue semaine tenue en haleine, à morfondre toute possibilité, les yeux brûlés sur des lignes de papier déshumanisées : et s’ils étaient déjà morts, disparus, affamés, assoiffés, agonisants dans leur propre sang. Et lorsque Cassandra avait émis l’idée d’un sauvetage guidé par le chef de l’Entre-Guerre, l’appréhension l’avait submergé de la force d’un raz-de-marée : pauvre chef de la sécurité, meneur dérisoire toujours enchaîné par les restes d’un dévouement pavlovien.

En attendant, la langue lourde sous le poids de la désapprobation qui l’étreint, Camillien ne dit rien.
Au diable et à ses suppôts l’idée même d’extérioriser toute désapprobation, dieu seul sachant à quel point elle enfle terrible et supplique parmi ses entrailles. Il n’a pas de temps à perdre en perdition car il y a tant d’obligations, tant de situations qui nécessiteraient ailleurs son attention. Mais chaque seconde qui fuit est une douloureuse agonie car tant de jours ont déjà été gâchés, gaspillés et vilipendés sur l’autel de l’inaction. Comme épris d’une constante asthénie et sous le joug de ses propres fabulations Camillien n’offre qu’une brève salutation à ses congénères en maigre courtoisie, approuvant mentalement la présence inestimable de soigneurs.
Malheureusement, je me vois lié aux ordres de Cassandra. Ah. C’est à Donovan que la direction de cette mission a été confiée, ainsi, c’est à lui de la mener à bien. Et se goûte sur ses papilles l’acre saveur du blâme, l’insubordination à fleur de peau.
Pour le moment, nous ne pouvons qu’attendre. Risible.

Résumé : Camillien ne sert à rien, mis à part à s’efforcer de retenir sa propre insubordination et s’efforce d’attendre l’apparition de Donovan. Je laisse la place à Thelma!

Les ordres, les ordres, les ordres… Evidemment. Gavrila réprime un lourd soupir de consternation mais ne s’épuise pas à insister – à quoi bon ? Lui n’est là que pour guérir, pas pour prévenir, n’est-ce pas. Il contemple à nouveau la brume qui vient d’engloutir les autres groupes et, bientôt, il n’y tient plus : il sort son Holokit pour envoyer quelques messages stupides – non qu’il soit inquiet, pas du tout, c’est juste qu’il veut tromper l’ennui, se convainc-t-il avec une mauvaise foi pachydermique.

Quand il relève les yeux de son écran, c’est pour considérer tour à tour Thelma et Germain, métamorphosés en guimauves miaulantes à l’approche d’un chat obèse auprès duquel lui-même aurait eu à apprendre en matière de dédain. Il cille lourdement, avant de froncer moqueusement le nez lorsque le Caerien se fait superbement ignorer : « Pour une fois que je vois un chat faire preuve de bon sens ! Perdition soit louée. » C’est une façon comme une autre de dire bonjour et, de toute façon, Hard Rock n’est pas là pour lui mordre les chaussures. Baissant à nouveau les yeux sur son Holokit, il néglige une fois encore de se présenter ; l’aurait-il voulu qu’il n’en aurait de toute façon pas eu le loisir, puisque c’est ce moment-là que choisit leur adorable chef d’expédition pour apparaître. L’entrée est pour le moins cavalière et Gavrila est presque conquis – non. Loin de se presser pour lui emboîter le pas, il le suit posément du regard tandis qu’il les dépasse de sa démarche martiale, avant de battre des cils, incrédule, face à cette vision surréaliste. « Vous pouvez donc m’appeler le pouilleux. » susurre-t-il narquoisement à l’attention de Solveig, après quoi seulement il range son Holokit et daigne enfin se mettre en marche.

L’enveloppement de la brume lui hérisse désagréablement la nuque – il s’est d’ailleurs toujours demandé s’il n’y avait pas quelque danger à l’inhaler. Son mauvais pressentiment s’intensifie et pour ne rien arranger, Donovan semble décidé à se comporter comme une véritable plaie, plus encore qu’à l’ordinaire. Non, en vérité, il se moque carrément du monde ! Gavrila fronce légèrement les sourcils en écoutant ses directives. Se réjouit-il de ce que les autres groupes prennent tous les risques à leur place ? Est-ce vraiment le cas, d’ailleurs ? Perdition est un endroit réputé pour son imprévisibilité. Chaque mètre parcouru par un groupe, avec ou sans encombre, n’est-il pas susceptible dès la minute suivante de receler de nouveaux dangers pour un autre ? La dernière injonction lui fait pincer les lèvres. Incapable de s’écraser, surtout pas face à un soldat qui coche toutes les cases du cliché militaire tout chef qu’il soit, Gavrila rétorque d’une voix qui trahit son agacement : « Aucune inquiétude à avoir sur ce dernier point, nous ne pourrons pas traîner plus que sa majesté ne l’a fait jusqu’à maintenant. » Encore qu’il soit capable de prendre un malin plaisir à lui prouver le contraire sur-le-champ.

Par malheur, Perdition leur offre – un peu trop – rapidement une douloureuse occasion de ralentir le pas. Il se crispe des pieds à la tête en découvrant le spectacle d’horreur qui les attend. Une hécatombe, déjà ? Si son premier réflexe est de chercher avec une sourde appréhension quelque visage familier, il se ressaisit en vitesse et tâche aussitôt de déterminer d’un coup d’œil qui peut être encore sauvé. Il s’approche de Donovan, mais n’a pas le temps de se pencher sur le blessé, encore moins de s’offusquer de son geste dont il comprend instinctivement le motif. Interdit, Gavrila regarde les contours du corps factice s’estomper. Perdition leur joue déjà de bien sinistres tours, mais contrairement à leur chef, il est partagé. Avancer sans s’assurer que les illusions encore intactes et toutes si réalistes ne comptent pas parmi elles un explorateur bel et bien blessé – que Perdition voudrait qu’on abandonne à son triste sort – ou prendre le risque de perdre du temps – peut-être même davantage – en procédant à une vérification ? Il flaire le piège, mais compte tenu de la raison de sa présence, la simple idée de laisser quelqu’un derrière par mégarde le révulse. Et, au fond, à quoi doivent-ils l’ordre de Donovan ? À son instinct de soldat ou à son indifférence ? « Attendez, soupire-t-il en ayant déjà l’impression de commettre une erreur. Nous formons un groupe de sauvetage, alors pouvons-nous vraiment nous permettre de partir sans vérifier qu’il n’y a aucun véritable blessé dans le tas ? » Il interroge les autres du regard – car en dépit des apparences, sa question n’est absolument pas rhétorique.

Résumé : Gavrila n’insiste pas auprès de Camillien et envoie des conneries à Hee-Jun parce qu’il s’inquiète pour passer le temps. Il se fout gentiment de la gueule de Germignon, consent à répondre au doux nom de pouilleux quand Donovan juge enfin bon de ramener ses miches et lui emboîte le pas non sans lui faire remarquer son retard. À la vue des blessés, il suggère de dissiper chaque illusion pour ne pas prendre le risque d’abandonner un camarade à son sort.

Au sonnet des éparses présentations Camillien fait état de son omission, car si non point épris sous la cangue de sa renommée, son nom se voyait toutefois connu au sein de la Vallée ; et à défaut de dénomination gravée sur les traits de son visage, celui de son récent titre était lui collé à chaque de ses pas. Camillien, actuel chef de la sécurité de la Vallée –son introduction se veut à son image, tant à la fois sommaire que concise, et une fois l’incidence féline dissipée il hoche la tête rapidement vers Germain, seul visage dont les esquisses ne voient pas noyées sous le flou de l’inconnu.  

En définitive, l’arrivée de Donovan est digne de son rang démérité : la démarche impérieuse d’un prince en son palais et nul grand intérêt pour les laquais à ses pieds, déversant ses exigences sans quelques onces d’aménité –Camillien digne de rien emboîte le pas et aligne son rythme au sien en réminiscences de tant d’années vouées à n’être que subalterne. Le port hiératique à son accoutumée, il scotomise les insultes qui leur sont déversées, bien que ses dents entrechoquent leur émail sous le coup de sa désapprobation tandis que la saveur aigrie d’un vin acescent en imbibe sa langue.
Ainsi s’amorce leur descente dans la brume maudite de Perdition, malheureuse estampie d’âmes dociles qui s’entassent à la lie honteuse d’un homme que personne ne veut suivre. Non pour la première fois, Camillien parmi les tréfonds de ses pensées mature silencieusement la possibilité de son ingérence.  
Quand bien même au creux bilieux de son ressentiment il en approuve le substrat, à la remarque acerbe de Gavrila, il concède à ce dernier un regard couplé d’un avertissement silencieux. Donovan du sommet de sa désolante prétention possède des crocs à l’apex d’un gosier que trop plein de venin.

Consciencieux, il en poursuit son chemin au cœur trompeur d’un lieu qui se révèle malsain.
Et voilà leur propre perdition à peine éclose au sein de ses réflexions que déjà parait vision de désolation. Consumé par l’horreur, à la vue du massacre Camillien ne pouvait que manquer d’air –nul besoin d’imagination pour voir que se pressaient les psychopompes à leur tâche mortuaire. Il en hâte son pas vers les gisants, mais l’éclat de Donovan en sa violente répulsion hérisse son échine de telle sorte que la dissipation de l’illusion n’apaise en rien. Oh ce qu’il voudrait pouvoir déchaîner des admonestations comme on en claque un fouet ; néanmoins parangon de la probité il en demeure figé en appréciant toute la commisération de Gavrila, l’œil incessamment fixé sur le misérable symbole de leur souveraineté.

La demande du soigneur est légitime. Sa voix ferme et inflexible ; ah, au cœur tendre de Camillien une telle inconsidération est inadmissible et tout autre commandement ne peut être qu’incessible. Mâchoire en carcan de fer au diapason de la conscience de son outrepassement, il se concentre sur le don qui lui a été accordé en faisant fi de tout commandement –et bien vite martèle un tumulte sous le coup de mille enclumes éclatant dans sa tête, à la force de centaines d’impacts et sent poindre entre ses tempes une tempête. Il s’approche d’un corps terrassé de sang et de gémissement qui s’efface sous le joug fragile de sa bénédiction. Une illusion également pour celui-ci, vérifions tout de même le reste d’entre eux.
S’il n’en souffrait pas de migraine, Camillien aurait pu apprécier l’entière sapidité de la confrontation de deux autorités.


Résumé :  Camillien finit par se présenter, salue Germain, grince les dents au comportement de Donovan tout en suivant au travers de Perdition, tandis qu’à la remarque de Gavrila sur le retard de leur meneur il lui accorde un regard d’avertissement (Camillien hypocrite). Finalement au spectacle de désolation il désapprouve (encore) le comportement de Donovan et défie son autorité en appuyant la demande de Gavrila, puis utilise sa (pauvre) fermeture de l’esprit pour (tenter de) voir à travers les potentielles illusions.