Le Ciel soit loué, Donovan entend raison et consent à ce qu’ils prennent le temps de dissiper toutes les illusions. Le don de Camillien est une aubaine à cet égard et leur permet d’en finir avec prudence, sans qu’ils n’aient à mettre la main dans un hypothétique nid de vipères. Gavrila patiente nerveusement, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un corps. Il s’en approche aussitôt en laissant échapper un soupir navré, partagé entre le regret de découvrir l’état pitoyable de l’explorateur et le soulagement, malgré tout, d’avoir insisté. Accroupi auprès de lui pour lui prodiguer des soins, à commencer par les jambes, il l’observe et l’écoute attentivement, mesure l’ampleur du traumatisme, ainsi que la menace qui pèse apparemment sur eux. Une bête ? « Restez tranquille. » Impossible de déterminer s’il parle au blessé ou à Donovan qui s'agite pareillement. Hélas, le premier ne lui laisse pas le temps de remplir sa tâche jusqu’au bout. Gavrila jure quand il se dérobe à ses mains, et il a beau le poursuivre sur quelques mètres, lui crier de revenir, rien n’y fait : les ressorts de la peur le font rapidement disparaître vers l’orée de Perdition.

Quand il revient sur ses pas, c’est pour découvrir la présence improbable d’une adorable portée de marcassins… bientôt chahutée par Donovan et sa fâcheuse propension à donner des coups de pied. Gavrila blêmit, consterné, et assiste impuissant à la charge du sanglier furieux. Leur chef est à terre et il ne peut s’empêcher de grommeler entre ses dents : « Ah, ça, il ne l’a pas volé ! » Par bonheur, Germain a pu échapper à l’assaut et semble être capable de tenir la bête en respect. Pour combien de temps néanmoins ? Partageant son idée, Gavrila se précipite vers Donovan et, après un bref examen, fait signe à Thelma : « C’est une fracture du tibia – rien qui ne soit hors de ma portée, mais ça va prendre un peu de temps. Puis-je vous demander de soigner le marcassin pendant que je m’occupe de lui ? » Il regarde tour à tour Germain et l’énorme sanglier, un peu inquiet, avant de dégager doucement la jambe de Donovan. « Pas trop vite cependant : si notre dompteur de bêtes venait à faiblir, nous devons nous assurer que Donovan sera en mesure d’éviter une nouvelle charge – et j’ose espérer que Gros Papa Enragé ne s’y risquera pas tant que nous nous tiendrons à côté de son petit. » C’est cruel, mais nécessaire pour assurer la survie d'un crétin fini qui reste le demi-frère de Cassandra. Sans plus tarder, l’ombre de ses paumes vient survoler la fracture ouverte. « Je n’ai pas le temps de vous anesthésier, prévient-il sèchement, les premières secondes vont être pénibles. » Bien qu’il n’en dise rien, son regard signifie clairement « Et c’est bien fait pour ta gueule. » Il est certain que la douleur de Donovan aura presque quelque chose de satisfaisant. Car l’os, qui se répare sous l’effet d’un étrange magnétisme, en vient nécessairement à bouger.

Au bout de quelques secondes, il donne le signal à Thelma d’un hochement de tête. Son cœur palpite un peu plus fort et la pulpe de ses doigts picote d’un fiévreux engourdissement. Il a bientôt terminé, et si Germain capitule, si la vue de son bébé remis sur pattes n’apaise pas le sanglier furibond, il espère que Camillien et Solveig sauront le divertir à leur tour. « Pas de geste inconsidéré cette fois-ci, d’accord ? murmure-t-il gravement à l’attention de leur chef. Je suis certain que nous pouvons nous sortir de ce mauvais pas sans nous condamner à manger du sanglier ce soir – ou inversement. » Il ne prend pas la peine de préciser que c’est la dernière fois qu’il gaspille son énergie pour réparer ses conneries.

Résumé : Gavrila n’a pas le temps de soigner entièrement le blessé que celui-ci prend ses jambes à son cou. En essayant de le retenir, il échappe à la charge du sanglier. Profitant du Pacifisme de Germain, et suivant volontiers sa proposition, il encourage Thelma à soigner le marcassin pendant qu’il s’occupe de Donovan, en espérant que celui-ci ne fasse pas à nouveau des siennes contre leur assaillant une fois remis sur pieds.

La résurgence d’un miraculé s’avère tout autant surprise que doute dévoilé : Perdition en tout son indubitable envoûtement se voit nécessiteux tant d’un œil averti que d’une surveillance aiguisée –la moindre inattention peut se voir leur ultime action négligée.
Si les soigneurs s’évertuent à l’exercice de leur talent au chevet du rescapé, bien vite celui-ci leur échappe au gré de gémissements terrifiés : à juste cause car des limbes brumeux en émerge une monstruosité phacochère et son impromptue escorte de marcassins. L’espace fugace d’un instant, Camillien en blâme le tumulte qui résonne en concerto à ses pensées, mais Donovan en toute sa fougue seigneuriale s’escrime à en démentir le sentiment.
Des méandres du charivari qui en martèle son crâne, Camillien se plaît à fantasmer le comportement du meneur telle une nuisance passagère. Pourtant loin s’en faut et au deuil de sa plus grande consternation, toute autre contestation se verrait mensongère : au fil non si lointain de ses pérégrinations en tant que garde, il s’en est résigné au pire de la part de l’homme. Ah, à ses yeux homme et bête logent sous le même toit et dorment sur la même paille, si bien qu’il en est même malaisé d’en distinguer les subtilités de chacun tellement ceux-ci sont profondément semblables en leurs ardeurs.

Brusquement Donovan heurte la terre, et si jamais Camillien n’eut épanché ses afflictions à une quelconque divinité, au karma vengeur il en accorderait presque une prière.  

Face à l’inattendu de la situation, Germain même déstabilisé est une bénédiction –une fois encore, Camillien songeur ne peut qu’en apprécier l’indéniable utilité de son don.
Ses yeux n’osent s’égarer du caerien face à son inhabituel adversaire, le corps tendu délaissant la charge des invalides et leur désordre sanglant à la grâce bienheureuse des soigneurs. Aux remontrances de ces derniers, il acquiesce silencieusement et renchéri aux dires de Thelma : Loin de moi l’idée de toute contestation, toutefois en tant que … hm, votre homologue, je me vois forcé d’admettre, Donovan, que votre maîtrise, surtout en tel lieu et telles circonstances, laisse fortement à désirer– le constat claque non avec virulence mais ourlé d’une douceur si tant acide qu’inhospitalière tandis que dans sa bouche sa langue est épaisse de désapprobation. Sans doutes envisageriez-vous une approche, disons, plus délicate de la situation.
Sa mâchoire se contracte à la force de ces mots et ses lèvres se plissent en excavation réprobatrice. Camillien a l’insubordination au creux de ses reins, qui enfle et qui gangrène : tant d’années épuisées sous le joug d’un seul homme qui de l’apex de ses prétentions ne daigne guère en retourner la faveur à ceux qu’il mène.

Toutefois il n’en accorde point un regard au meneur de l’expédition –l’usage habituellement sporadique de son cristal d'esprit le dessert et il se fustige pour son manque d’entrainement– au profit d'une lente appréhension, la lumière macérant sous le derme de ses mains et le rythme de son cœur en vif crescendo.


Résumé : Après la disparition des illusions, Camillien fait figure d’observateur aux événements, bien que suite à la mise à terre de Donovan il ne manque pas de lui exprimer le fond de sa pensée, tout en se rapprochant de Germain et se préparant à aveugler la bête (au renfort de son cristal de lumière) à la moindre dérive de la situation. Ah, et tant Donovan que l'usage de son don lui filent des maux de tête.