— dear dictator

Depuis la perte des Sylvestres, Gégé ne lit plus les news. Ça l'angoisse. Pourtant celle-ci l'a quand même retrouvé même au fin fond de ses bois : elle l'a prise au dépourvu, lui est tombée dessus comme coup de couteau dans le dos. Impossible de lui échapper, tous les réseaux sociaux ont été inondés des suites des révélations de Cassandra et depuis quelques jours, son holokit n'arrête plus de vibrer. Alexander, le bon roi Alexander, responsable du Kamikakushi ? Responsable de la mort de millions, non de milliards de personne et tout ça pour... sa fiancée ? Mais sa fiancée ce ne serait pas la soeur dont Julius lui a parlé ? Pourquoi Gégé ne s'en souvient-il pas ? Pourquoi se sent-il coupable aussi ?
Oh il se serait volontiers terré avec ses chiens dans sa belle maison en attendant que l'orage passe, mais plus les jours se succèdent, plus y pense et plus il y pense plus cela le rend fou. Un grattement à l'arrière de son inconscient qui devient une gêne qui devient un cri qui devient une douleur : il doit savoir. Il doit monter à la capitale.

Mais arrivé à Caer Callabus, le chaos qui y règne est encore plus désorientant que tout ce qu'il avait redouté. La foule s'est transformée en fosse féroce, tentes et barricades érigées ici et là et dans la masse sauvage on réclame la tête d'Alexander. Une perspective qui horrifie absolument le fermier. Il n'est pas venu pour se venger, il est venu pour avoir des réponses. Et il est suffisamment sage pour savoir que le sang appelle le sang.
Bientôt son regard croise le plus véhément des agitateurs. Dans ses prunelles, Gégé décèle toute la fureur et la rage de ce dénommé Fred. Il songe un instant à utiliser son cristal de pacifisme mais songe également à cette haine qu'il risque lui-même d'absorber à vouloir la résorber. Alors il baisse les yeux en silence, lâche. Il a peur. Peur de devenir pareil.

Mais à ses côtés, une présence connue lui redonne un semblant de lumière (à défaut de courage). Espérance ! Une journaliste dont il admire le travail. Ah enfin une lueur de raison dans tout ce désordre enragé.
C'est en l'attrapant par le bras qu'il l'interpelle :

▬ Madame ! Pardon mais dîtes-leur que c'est de la folie ! On ne peut pas les laisser s'emparer du château et se jeter sur le roi comme une meute de chiens sauvages ! Il parle vite, paniqué. Il doit s'arrêter quelques secondes pour reprendre sa respiration avant de continuer : Il faut un procès, il faut du calme sinon on aura jamais de justice et jamais de paix. Caer va être à feu et à sang si on les laisse faire ! Vous êtes une autrice respectée, faîtes-leur entendre raison, je vous en supplie !

Si seulement il avait la bravoure de s'exprimer seul sur la scène...

— dear dictator

Les mots de la journaliste sont pleins de bon sens et pourtant c'est un coup d'épée dans l'eau. Le courroux de la foule est trop fort, trop sauvage pour être dompté et Gégé observe avec un air désolé cette masse d'animaux assoiffés de sang et de vengeance, songeant amèrement que son cristal ce n'est pas assez pour éponger toute cette fureur. Il a le sentiment de se tenir au bord d'un précipice duquel tout le monde saute à pieds joints.
Et en mouton, il va bien falloir qu'il se lance dans le vide également. Ça le désole.

▬ Merci d'avoir essayé. Souffle-t-il à Espérance avec un air abattu, épaules affaissées parce qu'il rend déjà les armes.

Hélas, la frayeur de Gégé se réalise : il n'a pas le loisir de faire demi-tour pour échapper au carnage à venir car il est entrainé dans le flot des gens qui le bouscule direction le château alors qu'une explosion retentit dans l'air et que le ciel s'assombrit. Bientôt, les soldats de la capitale ripostent du mieux qu'elles le peuvent et Gégé qui n'a jamais été arrêté par la police une seule fois de sa vie, qui stresse rien que quand le vigile le regarde à la sortie des magasins alors qu'il n'a touché à rien, a une peur terrible de se faire embarquer par les forces de l'ordre et juger comme terroriste.

Noyé dans l'agitation, il cherche désespérément un visage familier et tombe par chance sur Margot, Espérance et la dernière des femmes qui a interpellé le leader du mouvement. Il s'apprête à jouer des coudes et des bras pour rejoindre la journaliste que des plantes lui poussent le long des corps. En jetant des regards paniqués autour de lui, il comprend que c'est l'oeuvre d'un garde. Gégé a alors une réaction de panique qu'il regrettera plus tard parce que c'est pas bien de se dérober de la police : des paillettes jaillissent de ses mains, un énorme bouquet d'étincelles qu'il lance en direction du visage de l'homme, l'aveuglant ainsi que quelques autres malheureux à proximité. Se défaisant des plantes autour de ses membres, il parvient alors à se rapprocher d'Espérance qu'il attrape une nouvelle fois par le bras et débarrasse des pousses agrippées autour de ses poignets :

▬ Courrons !

Impossible de détaler à contre-sens de la foule. Il ne leur reste qu'une solution : avancer en première ligne.