Gavrila sent avec soulagement l’emprise des lianes se desserrer et finit par retomber sur le sol mousseux avec plus de peur que de mal. L’attaque de ses deux équipières a du moins eu le mérite de provoquer une diversion salutaire pour Orion, et quelques secondes plus tard, il peut enfin se permettre de pousser un long, long soupir pour accueillir cet inespéré moment de répit. Il est saisi d’un léger vertige en songeant que ce n’était que le début, et qu’un peu plus de réflexion – difficile à déployer dans l’urgence – leur aurait épargné bien des efforts inutiles. Une fois encore, il essaie de puiser dans l’enthousiasme inébranlable de Raeb un semblant de consolation, mais y parvient à peine ; aussi préfère-t-il se concentrer sur le plus important : le soin des blessés. Il acquiesce à la remarque de la cheffe de sécurité et examine tour à tour les membres du groupe d’un rapide coup d’œil. À part le poignet cassé de Raphaëlle, dont il s’occupe diligemment en évitant tout contact susceptible d’être douloureux – la sensation de l’os qui se ressoude est toujours désagréable mais éphémère –, il n’y a aucun dégât handicapant. « Je peux me charger dès maintenant de vos ecchymoses, propose-t-il à Félix – qui aura peut-être une bosse à cause de l’incroyable coup de tête de Raeb – et Orion – qui risque de voir apparaître sur sa peau des marques de strangulation ; à moins que vous ne souhaitiez les conserver comme blessures de guerre. » Quelle que soit leur décision, il finit par se remettre en route après avoir récupéré et rangé bien sagement sa scie chirurgicale. La progression est plus pénible dorénavant, mais les précautions qu’ils prennent les dérobent du moins à une nouvelle colère végétale.

Quand vient le moment de s’arrêter sur le signe de Raeb, Gavrila doit ravaler une floppée de jurons : c’est qu’il n’a jamais vu un ours aussi imposant et que sa compagnie – on-ne-peut-plus hostile – ne lui dit rien qui vaille non plus. Une diversion serait effectivement la bienvenue. S’il songe à la bombe de phéromones qu’il transporte, il l’écarte aussitôt, estimant que cela ne ferait potentiellement qu’exciter la sauvagerie des deux mammifères. Aussi s’en remet-il également à l’avis de leur biologiste, sans pour autant se dispenser de son petit commentaire : « Mais nous ignorons à quel prix l’une d’elles triomphera ; comme l’a dit Raeb, nous devons rapporter à Cassandra des spécimens vivants – et, j’imagine, pas trop endommagés. » Il souffle moqueusement par le nez. « C’est à ce moment-là qu’on aurait bien eu besoin d’une jungle un peu trop étouffante, n’est-ce pas… ? » murmure-t-il avec dépit. « S'il le faut, je peux créer un brouillard très dense sur une zone restreinte pour désorienter nos cibles et endormir leurs réflexes, mais ça peut être à double-tranchant. Je dirais que nous aurions plus de chance de nous en sortir en neutralisant la plus rapide – même si je n’oserais sous-estimer la charge de ce superbe gros patapouf. En fait, une fois la panthère hors d’état de nuire, nous pourrions essayer de faire en sorte que l’ours s’assomme contre un arbre ou quelque chose comme ça. Je sais me rendre intangible – il suffirait que je l’invite à venir me faire un gros câlin. À moins que ça ne vous paraisse trop fantasque ? »

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Gavrila acquiesce à la remarque de Raeb. Il va falloir occuper les deux mammifères enragés et son intangibilité, à condition que Perdition ne lui joue pas un mauvais tour à cet égard, lui laisse une bonne heure devant lui. Il veut croire, pourtant, qu’il n’aura nul besoin d’aller jusque-là et que la combinaison de leurs idées s’avèrera fructueuse – est-ce la menace d’une mort très, très, très douloureuse qui le rend si optimiste ? Le soigneur a un pli moqueur au coin de la bouche mais n’en mène pas large intérieurement, déconfiture qui ne s’arrange pas lorsque les deux bêtes commencent à s’écharper. Il est presque reconnaissant à la cheffe de sécurité de suggérer l’idée du rocher au petit homme blond. Son impatience est perceptible mais trahit toujours, curieusement, son désir tout professionnel de sauver tout le monde. Gavrila inspire profondément pour se donner du courage et s’assurer une pleine maîtrise de son pouvoir. Plusieurs arbres épais bordent la carrière et il espère que l’enragement et les blessures de l’ours lippu auront raison de son discernement. « Je suis prêt, murmure-t-il avant de se tourner vers Raphaëlle, capable de créer des illusions. Je suis franchement étonné que vous ne proposiez pas de me faire passer pour une termite géante histoire de me rendre encore plus appétissant aux yeux de notre gros Balou. » Une ultime expiration, puis un pas en avant. « Ecoutez, je ne sais pas encore s’il s’agit de mâles ou de femelles – compte tenu de leur connerie enragée, je dirais plutôt des mâles ; mais au cas où nos diversions ne seraient pas suffisantes, je vous laisse la bombe de phéromones. » Formidable héritage laissé par un mort en sursis, n’est-ce pas ?

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